Une maîtresse ennuyante
_ Vous tremblez encore, madame, remarqua Soren d’une voix grave et suave qui fit frissonner Izia de plus belle.
La jeune femme avait beau s’ordonner de fuir, son corps, lui, restait lesté par le mélange d’émotions qui déferlait en elle. C’était frustrant cette façon qu’elle avait de perdre ses moyens devant cet homme détestable.
_ Je… je ne tremble pas, réfuta-t-elle lamentablement malgré la réalité implacable.
_ Si vous le dites, fit le souverain en se redressant et en s’éloignant de quelques pas. Dans tous les cas, il vous faudra vous habituer à notre proximité, dorénavant. Vous conviendrez, qu’on ne peut concevoir un héritier, en se contentant de rester à bonne distance et en se regardant dans le blanc des yeux…
Le ton qu’avait utilisé Soren, était sans nul doute plein de moquerie. Non content de l’avoir dépossédé de tout ce qui avait une importance pour elle, à présent il voulait la tourner en ridicule, l'humilier.
Enfin libérée de son emprise, Izia put respirer à son aise avant de se tourner vers lui, les sourcils froncés.
_ Allons ne prenez pas cet air renfrogné, ma chère. Il n’y a aucune répréhension dans ce que je viens de vous dire. Nous sommes unis par les liens du mariage, et cette pudeur excessive n’a point lieu d’être.
Malgré ce que disait cet homme sans vergogne, la jeune femme entrevoyait le jeu, dont il usait avec elle. Elle voyait bien qu’il cherchait à la déstabiliser. Et au lieu de se reprendre et de faire fi de son manège, elle réagissait à chacun de ses faits et gestes.
_ Le fait que nous soyons mariés ne vous dispense pas d’un peu d’égard et de bienséance, Sire. Je fais en ce moment-même de grands efforts pour que les choses se passent au mieux dans ce château, vous pourriez prendre cela en considération et me porter un peu plus de respect…
Izia s’efforçait de fixer le regard de Soren en parlant, elle s’y accrochait comme elle put pour ne pas fourvoyer. Si elle avait aperçu brièvement le torse de l’homme un peu plus tôt, elle ne voulait pas réitérer l’expérience et risquer d’aggraver son trouble, déjà bien présent.
Il fallait tout de même reconnaître, que le peu qu’elle vit de ce poitrail sculpté et viril, avait suffit à la mettre en grand émoi.
_ Du respect ? Avez-vous seulement la notion de ce que ce mot veut dire ? demanda le roi en s’adossant au mur et en croisant les bras.
_ Je ne sais pas ce qu’il signifie pour vous, mais pour ma part, il s’agit avant tout de témoigner de l’égard à ceux qui nous en témoignent…
_ Izia de Rohan, si en cet instant, je n’étais pas le vainqueur de cette guerre, et que l’on m’amenait devant vous, les poings liés, vous auriez le moindre scrupule à mon endroit ? Je ne le pense pas. Connaissant votre engeance, je dirais même qu’un échafaud serait en pleine construction sur la place publique.
_ Mon père s’est déjà retrouvé dans votre posture, Sire, et à en croire votre présence ici, il n’a jamais porté atteinte à votre intégrité physique…
Le rire qui échappa à Soren Daskar fit trembler la jeune femme. Qu’avait-elle dit de si risible ?
_ Sire, conclut-elle rapidement en voyant que le regard de son mari avait changé et qu’il s’était obscurci, puisque vous avez ma réponse, je vais me retirer…
Liant le geste à la parole, Izia saisit les pans de sa robe, les souleva et s’apprêta à quitter les lieux.
_ Je peux savoir où vous comptez aller comme ça ? gronda l’homme en décroisant ses bras et en revenant vers elle.
Les yeux écarquillés et le cœur saisit par le ton ferme et froid qu’il venait de prendre, la jeune femme s’immobilisa.
_ Je vous l’ai dit, Sire, je suis venue vous donner ma réponse, et à présent, je vais me retirer…
_ Je crois que vous n’avez pas très bien compris les termes de notre accord, madame. À quoi bon me donner une réponse, et agir en opposition avec elle.
_ Je… je n’agis en rien contre, balbutia Izia en replantant ses yeux noirs dans ceux du roi. Je retourne juste à mes occupations…
_ La « seule » occupation qui vous incombe dorénavant, déclara le souverain avec une expression sévère, c’est de me donner un fils.
Avant qu’elle ne puisse rétorquer quoi que ce soit, les grandes mains de Soren lui saisirent fermement la taille avant de l’amener tout contre lui.
***
Soren maintenait sa proie serrée comme si elle avait la capacité de lui échapper et de fuir au loin. Dans un geste reflexe, elle avait bien posé ses paumes sur sa peau nue pour tenter de le repousser, mais en vain. Dès qu’elle se rendit compte qu’elle ne pouvait se défaire de cette étreinte, ses grands yeux sombres s’écarquillèrent et son teint devint blême.
_ Monsieur, que faites-vous ?! demanda-t-elle d’une voix blanche et faible.
_ Rien de plus que ce qu’un homme est en droit de faire avec son épouse…, avait-il lâché avec une certaine morgue mais non sans un intérêt certain.
Les courtisanes qu’avait fréquenté Soren jusque-là, étaient du genre aventurières et pas timides pour un sou. Il n’avait, donc, jamais eu affaire à une fille aussi peu expérimentée et surtout aussi prude.
Pas qu’il eut spécialement envie de passer aux choses sérieuses immédiatement, mais il voulait pousser cette vertueuse dans ses retranchements, et surtout la mettre devant la réalité qu’elle fuyait désespérément. Celle qui faisait d’elle un tribut de guerre à sa merci.
Tout comme les siens et lui, avaient été à la merci du roi Falcon, il y a quelques années de cela…
Le visage empourpré et le souffle court, Izia entrouvrit la bouche pour protester, mais elle se ravisa. Elle devait avoir en tête le sort de son petit frère chéri. Comprenant qu’elle n’avait d’autre échappatoire, Izia mollit entre ses bras.
C’était la deuxième fois ce jour-là, qu’elle abdiquait.
La première, elle avait renoncé à son pays et à ses bien, et à présent, elle lui abandonnait son corps.
Un corps qui se raidit d’appréhension quand le roi se pencha un peu plus, et qu’il posa ses lèvres sur celles de sa jeune épouse. Loin de se défendre ou de protester comme lors de leur premier b****r, Izia baissa les bras et se laissa faire totalement.
Si au début, ce renoncement total procura une certaine satisfaction au souverain, ce ne fut que passager. La colère s’empara très vite de lui, et aussi fermement qu’il l’avait attiré à lui, il la repoussa.
Qu’était-il en train de faire au juste ?
Lui, à qui jamais personne, ne s’était refusé, devait se contenter d’un épouvantail dépourvu d’énergie vitale ? D’une poupée qu’on articule à sa guise ?
Non, il était hors de question qu’il s’abaisse à pareil indignité. Il était tout de même un roi convoité, un homme qui pouvait dans la seconde, remplir son lit des plus belles créatures que cette ville comptait.
Prise au dépourvue, la jeune reine porta ses mains à son cœur, tout en secouant la tête d’incrédulité. Il pouvait lire la stupeur dans son regard humide, mais elle se ressaisit aussitôt pour ne pas montrer sa faiblesse devant lui.
_ Je peux savoir ce qui vous prends à présent ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle voulut assurée mais qui ne l’était pas le moins du monde.
_ Disons que ce soir j’ai quelques évènements à fêter, et si vous êtes mon épouse par défaut, vous n’êtes pas le genre de maîtresses indiquées pour… me distraire.
La satisfaction revint très vite quand Soren vit le visage de sa femme se décomposer.
Elle semblait abasourdie de l’entendre lui dire clairement, qu’il lui en préférait une autre. Celle-là même qui avait poussé le culot jusqu’à réclamer un mariage platonique, s’offusquait d’être rejetée, à présent.
_ Vous… vous êtes vraiment le dernier des rustres ! s’emporta la jeune reine.
_ Ne le prenez pas ainsi, ma chère épouse. Comprenez juste que votre compagnie n’est pas des plus divertissantes.
Sur ses mots qu’il savait blessant pour une femme, même chaste, le souverain alla à la porte et l’ouvrit en grand.
_ Je n’ai plus qu’à vous souhaiter une excellente soirée, madame. Je vous ferais avertir, le moment venu, en ce qui concerne notre… accord…