Chapitre 3 : Tempête en approche
_ Tu en fais une tête ? demanda Madok à son second une fois qu’il entra dans la cabine qu’ils occupaient.
_ Il a été décidé d’accoster sur l’île la plus proche, pesta Heddy en retirant sa cape et en laissant apparaître un pourpoint cuirassé.
_ À en juger par la teneur du vent, il va sûrement y avoir une grosse tempête, rien d’étonnant à ce qu’ils restent à quai pour ce soir. Et n’oublie pas que nous voguons entre les rochers depuis presque une journée, si l’on perd le contrôle, on a de fortes chances de s’écraser sur l’un d’entre eux.
De mauvaise humeur, le compagnon de chambre de l’officier continua sur le même ton agacé :
_ On aurait pu arriver à Targat bien avant si nous n’avions pas fait d’escale forcée. Par Dieu, nous aurions dû exécuter ce criminel et le donner en pâture aux requins au lieu de le déposer aux autorités les plus proches.
_ Allons Heddy, le capitaine et son équipage n’ont fait que respecter les lois maritimes. Je connais ton antipathie pour les voleurs, mais cet homme n’a tué personne, il ne mérite pas que l’on abrège son existence au seul motif qu’il t’a contrarié.
_ Toujours est-il que nous accusons du retard par sa faute. Et pas un petit…
Le rire franc de Madok fit plisser les yeux d’Heddy, et c’est avec une expression suspicieuse qu’il lui demanda :
_ Je te trouve bien détendu pour quelqu’un qui est impatient de retrouver son amour d’enfance ?
_ Anisha n’est pas mon amour d’enfance, se défendit l’officier en quittant son secrétaire et en allant servir deux verres d’alcool de plantes. C’est mon « amie » d’enfance, ce n’est pas pareil.
Tout en prenant le breuvage que son chef lui tendait, le second continua avec une certaine malice :
_ Tu sais ce que l’on dit, d’amis à amants, il n’y a qu’un pas.
Bien qu’il secouât la tête, ces mots trouvèrent un écho dans le cœur de Madok.
Il est vrai que malgré le succès qu’il avait avec les femmes, aucune ne sut le convaincre de rester à ses côtés. Son esprit était bien trop pris par la mission qu’il s’était donné étant petit, et Anisha avait peu à peu occupée toutes ses pensées.
Il se demandait, dans l’intimité de ses discrètes rêveries, à quoi pouvait bien ressembler la fille qu’il avait connue petit.
Était-elle toujours aussi intrépide ?
Ses magnifiques yeux dorés brillaient-ils toujours de la même manière tandis qu’une idée, ou une bêtise, lui passait par la tête ?
_ Tu m’as l’air bien pensif, Madok. Serais-tu encore en train de rêver à ta belle disparue ?
_ Tu ne voudrais pas aller voir ailleurs si j’y suis ? répliqua son chef en portant sa boisson à ses lèvres qui souriaient à moitié. Quoi qu’il en soit, cette halte va nous permettre d’aller voir nos chevaux et aussi de nous dégourdir les jambes…
***
La chambre où étaient entassées les filles était de plus en plus chaude, à mesure que la journée touchait à sa fin. Anisha qui avait collé son oreille à la porte, avait réussi à intercepter quelques bribes de la conversation qu’avait la femme avec l’un des gardes.
Apparemment, leur voyage avait été interrompu à cause d’une tempête à venir et au lieu de continuer jusqu’à l’île d’Alkeria, lieu commun pour le commerce d’esclaves, ils durent s’arrêter dans ce port où ces pirates avaient leurs entrées.
_ Tu ne devrais pas faire ça, s’inquiéta Alva en triturant sa longue chevelure dorée.
Ses grands yeux vert d'eau étaient écarquillés d’angoisse et lui apparaissaient clairement, malgré le peu de lumière qui s’infiltrait par une fenêtre barricadée de planches de bois.
_ Ne reste pas là, chuchota Ani en lui faisant signe de s’éloigner.
Puis en voyant qu’elle ne faisait pas ce qu’on lui disait, la jeune femme se résigna et revint s’asseoir.
_ Tu as entendu quelque chose ? la questionna Alva en prenant place près d’elle. Ils ont dit quoi ?
_ Rien qui puisse nous aider à sortir d’ici, lâcha Anisha avant de voir se lever sur elle, le regard de toutes les filles présentes.
Elle qui voulait rester discrète sur ses aspirations, c’était raté.
_ Une fois que l’on se trouve entre les mains des esclavagistes, on n’en sort pas, déclara l’une des femmes présentes et qui avait un certain âge. Economise ton énergie, tu en auras besoin prochainement.
_ Elle a raison, fit sa camarade et voisine, on est destinée à servir, autant se faire une raison, tu ne crois pas.
Anisha replia ses genoux sur sa poitrine avant de les entourer de ses mains.
Se faire une raison ?
Si elle était du genre à se faire une raison, elle serait restée bien sagement auprès du père de son enfant à naître. Celui qu’elle aime au point d’en perdre l’esprit.
Non, se faire une raison dans ce cas précis, équivalait à mourir.
Si seulement Helias n’avait pas mis cette fichue surveillance aux trousses de sa sœur, toutes les deux seraient bien loin à l’heure qu’il était…
Et alors qu’elle repensait aux évènements qui l’avaient amené à cette situation, Anisha sentit que l’air s’était grandement alourdi dans la pièce. Quelques minutes plus tard, le tonnerre se mit à gronder au-dessus de leur tête. Alva se blottit contre elle, les mains sur les oreilles.
_ Ne me dit pas que tu as peur de l’orage ?
_ J’en ai une peur bleue...
_ On est à l’intérieur, on ne risque rien, la rassura Ani.
_ Je le sais bien, mais c’est plus fort que moi... Ma mère me laissait dormir avec elle les soirs de tempêtes, lui confia la jeune femme, une pointe de nostalgie dans la voix. Elle me disait toujours que je me devais de surmonter cette peur, car viendrait un moment où, je ne pourrais plus me réfugier auprès d’elle… je ne pensais pas que ce moment viendrait si vite…
Anisha sentit son cœur se serrer en l’écoutant.
Combien de filles avaient, comme Alva, été enlevées à la chaleur d’un foyer ?