À contre Cœur

1348 Mots
Mes parents échangèrent un sourire. Leur fille obéissante n'avait pas manqué à acquiescer une fois de plus. Un gout métallique me sillonna la langue et noya ma sérénité. Malgré l'humeur joyeuse de papa, le silence alourdissait la température. Le muscle de l'œil gauche de maman cillait, trahissant un stress qui transperça mes pores en passant par sa main sur ma peau. Je transpirai à grosses gouttes, hantée par une pensée de moi devenant une femme soumise et malheureuse comme ma mère. Maman révéla : « il y a ce jeune homme venant d'une famille très riche. Il se prénomme Luc et veut que tu deviennes son épouse. » Son regard n'arrivait même pas à me faire face. Un faux sourire décorait son visage et elle restait immobile, attendant surement que je réagisse pour me contrattaquer. Je voulus crier, mais ma voix devint une salive aussi dure qu'une pierre et ce fut si difficile de me taire et de l'avaler. Moi aussi, je n'avais pas bougé. J'étais restée braquée sur ma mère dans l'espoir qu'elle me révèle leur farce. Même si nous n'en faisions pas souvent dans cette maison. Sa voix s'éleva de nouveau, et par la déchirure qu'il y eut dans son intonation, je sus que c'était fini pour moi. « Je sais que tu viens à peine d'avoir ton examen. Tu espérais sûrement poursuivre des études universitaires. Mais, Jo, avec quel moyen nous payerons ces frais ? » Elle ouvrait grand les mains, comme si elle demandait de l'aide aux dieux. Je fixai mon bouquin en passant mes ongles lentement sur la couverture abîmée. Son titre : « L'amour Ne Meurt Jamais. » M'avait fait croire longtemps en un rêve qui partait maintenant en fumée. Mes lèvres tremblaient. Mes orteils vibraient. Mes muscles avaient du mal à obéir. Je ne sus que dire. Maman posa sa main sur la mienne. « Chérie, même si nous t'inscrivons dans une université publique, nous ne pourrons pas nous offrir le transport et les fournitures. L'université est encore plus loin de nous que le lycée. Regarde la vérité en face. Tu ne pourras pas marcher jusqu'à là-bas. » « Ablar n'est pas si loin et... je pourrai demander à mes amis de m'y accompagner... ou encore... vivre sur le campus ! J'en ai d'ailleurs parlé plusieurs fois avec Ami. » Expliquai-je désespérément. « Ami ne peut pas te donner ce genre de conseils. Regarde, son mariage sera célébré dans quelques jours. » Je revoyais sa face évasive à la mention de ce mariage. Que s'était-il réellement passé ? Ma pauvre Ami. Avait-elle eut le même discours que celui-ci ? Si faible et silencieuse qu'elle avait toujours été, possiblement, elle était restée paralysée devant ses parents. Parce que oui, maintenant que j'y pensais, je ne lui avais jamais demandé de me raconter quand est-ce qu'elle s'était rendu compte qu'elle était amoureuse. Si seulement je n'avais pas été absorbé par mon désir ardent de secourir Jean-Charles, j'aurais su plus que ce que je présumais. Les murs de mon cœur s'effondraient. Je posai ma main délicatement sur ma poitrine pour essayer de retenir quelques briques qui constituaient les échos de nos rires, nos moments de partages, nos bêtises et des photos de nos accomplissements. Ce n'étaient que des souvenirs qui criaient à laide désormais. Ils désiraient encore exister et vivre ne fusse qu'une dernière fois. Mais je n'avais plus de foi. Ça y est, tout s'effondrait. Maman lança un regard à papa qui silencieusement hocha la tête et elle continua. « Qui va payer les frais de logement ? Il n'y a pas de bourses d'études universitaires qui couvrent la totalité de la scolarité dans les environs. Il n'y a qu'en occident que l'on voit ça. Tu connais aussi l'insécurité qu'il y a sur les campus. As-tu oublié ces histoires de viols et de harcèlement ? » Maman déclarait. Ces paroles sciaient ma voix et je n'arrivais pas à m'exprimer. J'avais l'impression d'être un sourd-muet dans l'incapacité d'appeler à laide face à des voleurs de rêves. Elle toussa et une eau froide sortant de son nez et sa bouche éclaboussa ma main. Je relevai la tête pour découvrir des larmes qu'elle combattait. Enfin, elle se dévoilait et démontrait qu'elle n'était un objet de décoration dans ce foyer. C'était la décision de papa et comme une lâche, elle l'avait acceptée. « À qui demanderas-tu de te déposer ? Ta seule amie qui avait les moyens de le faire, c'est Esméralda. J'ai appris hier qu'elle a quitté le pays. » Je chavirai brusquement en arrière. Toute petite pierre qui restait de nos constructions amicales tomba. Il n'y avait plus que de la poussière en moi qui m'empêchait de respirer. Maman retira sa main de ma peau. Elle avait l'air intriguée. « Esméralda ne te l'avait pas dit ? » Je chuchotai, « si. » Lorsque ma face disait le contraire. « Écoutes... », papa reprit. « De toute façon, même si elle avait été là, je n'aurais jamais accepté cela. Je détestais te voir avec cette gamine. Elle avait tout le temps un regard curieux et des philosophies inverses à nos coutumes. » Pourtant, il me semble maintenant qu'elle avait bien raison. Je me disais, alors que papa continuait. « La réalité, c'est qu'une femme est appelée à partir en mariage. Son mari est censé rembourser à la famille les dépenses effectuées de sa naissance à ce jour où elle s'en va. Et nous avons trouvé quelqu'un qui peut non seulement nous donner une dote conséquente, mais aussi assurer l'avenir de notre famille. » Il croisa les bras avec son habitude nonchalance. « Nous n'avons que toi. » Maman caressa mon Afro, avant de continuer : « Si j'avais eu la grâce d'avoir plusieurs enfants — » « Maman ! » D'une voix monotone, je me prononçais et l'interrompais. Je ne désirais pas écouter le reste de son discours. Je savais déjà ce qui allait se passer. Mes parents allaient finir par crier aux dieux. Maman allait pleurer de toutes ses forces qu'elle n'ait pas pu enfanter un héritier. Papa allait rappeler à la terre combien son mariage n'avait point été productif. Et j'allais culpabiliser. J'allais me demander pourquoi je n'étais pas un homme. Je déclarai : « Vous n'avez pas à vous justifier. » Même si mon cœur venait de tomber dans un océan de désespoir. « Je ne vous promets rien, mais j'accepte de le rencontrer. » Maman sauta de joie. Elle me souleva du fauteuil afin que je danse à ses côtés. Elle ne remarqua pas que ma jambe avait frappé la table en bois, ni même que je ne faisais cela que pour les honorer. Ma mère, cette même femme là qui m'avait pourtant mise au monde, n'arrivait pas à entendre l'hypocrisie dans le son de ma voix. Non, je ne désirais pas me marier, mais les circonstances m'y forçaient. Elle n'arrivait pas à apercevoir la plume de douleur derrière mon sourire. Et alors que je tenais encore mon bouquin sur ma main gauche, mon père me l'arracha. « Tu n'auras plus à lire. Tout ce qu'il te reste à faire, c'est mettre en avant tes talents de cuisinière et de femme de ménage. » Il nous rejoignit dans notre chant et danse. Malgré le fait que ma silhouette s'ambiançait près d'eux, la déception me crispait l'estomac. Comment pouvait-il négliger autant mes livres ? Surtout celui-ci. Ce même bouquin que je relisais chaque année sans exception. Il m'avait été offert par quelqu'un de spéciale et parlait d'une histoire d'amour qui me touchait particulièrement. Une histoire dont j'avais tant rêvé et qui finalement, ne me désirait guère comme futur personnage principal. Après de longues minutes, épuisée de prétendre être en extase, je déclarais : « Je vais faire à manger. Je cuisinerai le plat préféré de papa pour le diner. Un bon poulet Yassa afin de vous remercier de penser autant à moi. » Mes parents me prirent dans leurs bras, heureux que j'accueille aussi bien la nouvelle. Seulement, ils allaient découvrir très bientôt un visage de leur fille qu'ils ne connaissaient pas.
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