Le réveil fut difficile pour Lucia. La nuit aussi, d’ailleurs. Malgré la fatigue qui la tiraillait, il lui fut impossible de fermer l’œil.
Tout ce à quoi, elle avait évité de penser jusque-là, s’était manifestée à son esprit et l’avait empêchée de dormir.
Ça, et le fait que Vincenzo ne rentre pas. Car, oui, elle avait passé des heures à guetter qu’un moteur s’approche de la propriété. Seulement aucun bruit ne vint perturber le calme de cette dernière.
Pourquoi se sentait-elle concernée par ce qu’il pouvait faire, d’abord ? Leur histoire n’était qu’un simple arrangement, elle ne devait surtout pas l’oublier.
Après un soupir, elle se résout à sortir de sa chambre.
Une des employées de maison vint à sa rencontre, dès qu’elle l’aperçut en haut de l’imposant escaliers en grès.
- Bonjour, Madame. Le petit-déjeuner est servi dehors. Suivez-moi, je vais vous guider.
La demeure était aussi fabuleuse que grande, et sans l’aide de la femme de chambre, Lucia n’aurait jamais trouvé son chemin.
Sur une terrasse en pierre blanche, une belle table en fer forgé était copieusement garnie. A l’ombre d’une pergola recouverte de vignes grimpantes, un septuagénaire mangeait en compagnie de Vincenzo.
« Il a fini par rentrer, se dit la jeune femme en boudant malgré elle. Et l'homme avec lui, c’est sûrement son grand-père »
Tous deux n’avaient pas encore remarqué sa présence, et déjà, Lucia sentait la peur la gagner.
Le physique du patriarche des Caruso était impressionnant, surtout pour son âge. Il devait être aussi grand que Vincenzo. Des cheveux blancs plaqués en arrière et un ensemble en lin de la même teinte, en faisait un parfait dandy. Le charisme et le charme étaient un trait héréditaire dans cette famille.
Lucia suait à grosse gouttes. Elle espérait de tout son cœur, qu’il ne soit pas comme son petit-fils. Deux acariâtres dans la même maison, ça aurait été insupportable.
- Lucia, se leva le vieil homme en l’apercevant, ça fait si longtemps. Douze ans, treize peut-être ? Viens plus près que je te vois…
Ses mains tendues, son visage souriant et son ton jovial dissipèrent tous les aprioris de la jeune femme.
Elle n'avait aucun souvenir de cet homme, mais elle décida de faire comme si :
- Bonjour Monsieur Caruso, ça fait près de douze ans, en effet.
- Allons, la reprit-il en lui saisissant les mains, appelle-moi Giuliani. On est une famille, désormais. Et ce voyage ? Pas trop fatigant ?
- Elle a dormi tout le long, lâcha Vincenzo sans lui accorder un regard, comment elle pourrait être fatiguée ?
- Tout s’est passé à merveille, intervint Lucia, alors que le vieil homme arquait un sourcil mécontent en direction de son petit-fils. On a même pu se reposer…
- Je suis heureux dans ce cas. Tu dois mourir de faim, viens t'asseoir près de moi.
Une fois face à son futur mari, elle compris que jouer la comédie, même devant son aïeul, allait lui être difficile.
- J’ai appris pour ta mère, fit le vieil homme après un moment et d’un air peiné. Je te présente mes condoléances. Vivre et gérer seule un événement pareil, ça n’a pas dû être facile mon petit…
Incapable de répondre sur ce sujet encore trop sensible, Lucia baissa la tête.
Son comportement n’échappa pas à Vincenzo. Peut-être parce qu’il connaissait très bien cette douleur ? A cet instant, il eut de la peine pour cette fille.
- Je sais d’expérience, que la présence de ceux qu’on aime, nous manque particulièrement lors des grands évènements de notre vie, continua Giuliani avec compassion. Alors, si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas…
La cérémonie allait avoir lieu en fin de semaine, et la robe de la jeune femme n’était pas tout à fait fini. On lui avait fait prendre ses mesures, tandis qu’elle était encore en France. Pour les derniers ajustements, le couturier était passé deux matinées de suite.
Lucia n’y connaissait rien en mode, mais elle avait assez de discernement pour voir que le modèle ne lui allait pas. Elle se garda, pourtant, de le dire. Vu le contexte, à quoi bon.
Après quelques retouches, elle l’essaya à nouveau puis revint au salon où le tailleur et son assistante l’attendait.
- Je pense qu’on est bien au niveau ajustement. Elle est parfaite comme ça.
- Rien de plus normal, la personne qui l’a choisi, a un goût imparable, tonna la voix de Vincenzo, qui venait de les rejoindre.
Lucia eut un moment d’hésitation, qui pouvait bien être cette personne pour que les visages des couturiers soient aussi gênés.
- Oui, Mademoiselle Laure à fait un très bon choix, concéda l’assistante avant que son patron la reprenne du regard.
- Puisque notre travail ici est terminé, on va vous laisser, firent-il avant de s’éclipser.
Lucia pensait savoir qui était cette Laure. Seulement pourquoi s’était-elle mêlée de ce qu’elle allait porter le jour de son mariage ? Était-ce une façon de marquer son territoire ? Ou juste de la provocation ? Quoi qu’il en soit, Lucia était en colère, elle n’avait qu’une envie, à cet instant, mettre en pièce ce chiffon et de rentrer chez-elle.