Fouler le sol de sa terre d’origine, après onze ans et demi d'absence, fit naître des sentiments mêlés dans le cœur de Lucia. Tandis qu’ils quittaient l’aéroport de Catane pour Syracuse, l’esprit de la jeune femme s’emplit de nostalgie.
Qui aurait cru qu'elle serait de retour après tout ce temps ?
En quittant la Sicile avec sa mère, elle avait eu l'espoir d'un retour, après quelques années d'exils ; mais à sa mort, Lucia s'était dit qu'elle n'y retournerait plus jamais.
Comme quoi dans la vie, les choses arrivent quand on s'y attend le moins. Quand on y pense plus.
À cette pensée, la jeune femme inspira profondément et ouvrit de grands yeux pour mieux admirer ce qu'elle voyait.
Les lumières qui animaient les majestueux monuments, les effluves qui s’échappaient des différents restaurants encore ouverts et bondés, les badauds et leur accent bien caractéristique, tout la ramenait à une époque douce et insouciante.
Un temps où les choses étaient si simples, sans questionnements incessants et insolvables, sans regrets et surtout sans crainte de l'avenir.
Il fut bon d'être une enfant dans cette île au climat généreux. Lucia aurait donné cher pour revenir à cette époque lointaine.
- Nous allons rejoindre l’autoroute, l’avertit Vincenzo, qui était assis à ses côtés dans la berline et qui pianotait sur son smartphone. Vous feriez mieux de refermer la fenêtre, ou…
- Ne vous inquiétez pas, le coupa-t-elle avec une moue renfrognée, je viendrais à cette cérémonie même enrhumée.
- Qui vous parle de vous ? Fit-il sans lever le nez de son téléphone. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais vous n’êtes pas seule dans la voiture.
Lucia avait eu la surprise, à son réveil dans l’avion, de voir que l’air sévère de Vincenzo était revenu. La patience et la gentillesse, dont il avait fait preuve avec elle à l’aéroport, avait laissé place à l’agacement.
Comprenant, néanmoins, qu’elle était en faute, elle s’excusa avant de refermer la fenêtre penaude.
- Disons que Monsieur est sensible aux courants d’air, intervint Natal, qui était à l'avant et qui voulut détendre un peu l’atmosphère.
- Je m’en souviendrais, bredouilla-t-elle en proie au malaise. Encore désolée.
Le trajet se fit dans un silence pesant.
Son futur faux mari ne décrochait pas de ses mails, ni de ce qui semblait être des données boursières.
Lucia jetait, de temps à autre, un coup d'œil dans sa direction, puis en voyant qu'il ne la coïnciderait pas le moins du monde, elle se repositionnait sur son siège ou toussotait.
C'était presque inconscient, mais elle cherchait comme à attirer un peu son attention.
Une heure plus tard, ils arrivèrent, enfin, au domaine. Un domaine immense où il fallait rouler tout un moment sur une route privée, avant d'arriver à la demeure où Lucia allait vivre en tant que la femme de Vincenzo Caruso.
Face à la bâtisse qui se dressait devant eux, la jeune femme restait stupéfaite et sans voix.
On était très loin de la villa moderne qu’elle s’était imaginée durant les jours qui avaient suivis son accord avec cet homme.
Les Caruso vivaient dans un magnifique manoir, qu’un savant jeu d’éclairages mettait en valeur.
Il faisait nuit, mais elle devina qu’ils se trouvaient dans un lieu d’exception. Plus qu'une maison, c'était un monument historique en vieille pierre. Le genre que l'on pourrait visiter et qui aurait une histoire très ancienne.
Elle aurait voulu prendre le temps d’admirer cet édifice d’un autre âge, mais Natale, qui venait de lui ouvrir la portière, l’invita à le suivre.
- Ma valise ? Lui fit remarquer la jeune femme alors qu’il s’en allait.
- Pas d’inquiétude, le chauffeur va la monter dans votre chambre, lui assura-t-il d’un sourire circonstancié. Puis, en voyant qu’elle suivait du regard son employeur, tandis qu’il allait à la rencontre d’une voiture. Monsieur doit se rendre en ville, il sera de retour très vite.
« En ville ? À cette heure ? Pensa-t-elle en grimaçant et en scrutant le bolide qui venait de se garer, juste devant Vincenzo. La bonne blague. »
Malgré elle et la voix interne qui le lui interdisait, Lucia ne put s’empêcher de se retourner pour mieux voir la conductrice.
Il faisait trop noir pour bien distinguer ses traits, seulement à voir ses vêtements et sa crinière vénitienne savamment attachée, elle était très sophistiquée…