Contretemps
Cette même matinée, sur l’île d’Alkeria
Le plan de Madok de quitter l’île au petit matin avait été quelque peu modifié.
Le choc qu’avait eu Lavina en apprenant que sa fille était toujours en vie, l’avait complétement effondré. Et tant qu’elle n’irait pas mieux, il ne pouvait l’emmener et risquer d’aggraver son cas.
Le marchand qui semblait entretenir une relation particulière avec cette femme, les assura de sa coopération. Puisqu’ils n’étaient pas là pour l’arrêter, ni lui faire du mal, il consentait à les aider du mieux qu’il le pouvait.
Pour montrer sa bonne volonté, il avait même répondu au coursier qui était venu s’enquérir de lui, sûrement à la demande des autres marchands qui s’inquiétaient de son absence. Après l’avoir rassuré et lui avoir donné une excuse qui tenait la route, il avait renvoyé le garçon à ses maîtres afin qu’il les tranquillise.
En échange de ce geste, le Major avait, lui aussi, lâché un peu de leste aux domestiques afin qu’ils s’occupent de la maisonnée. Pour ce qui était des gardes, il préférait tout de même les maintenir enfermer pour le moment.
_ Écoutez, lui dit le marchand alors qu’il venait de faire envoyer le petit déjeuner aux captifs ainsi qu’aux pauvres serfs qui servaient de marchandises, vous pouvez être tranquille concernant mes hommes, ils ne feront rien d’inconsidéré, du moins, pas si je ne leur en donne pas l’ordre.
_ Ce n’est pas que je ne vous fais pas confiance, répondit l’officier en s’installant à la table du salon où venait de leur être posée du thé bien fumant ainsi que des plats remplis de victuailles, mais comprenez ma situation… je ne peux me fier au premier venu, surtout sur une île aussi fermée que celle-là.
L’homme soupira avant de secouer la tête.
_ Je sais que vous me voyez comme un sale type, et je ne peux rien dire pour m’en défendre, seulement, j’ai aussi des principes et une parole d’honneur, vous savez…
_ Je n’en doute pas, mais pour le moment, je préfère…
La phrase de Madok s’interrompit quand la mère d’Anisha apparut dans l’encadrement de la porte, soutenu par l’intrigant adolescent qui la nommait mère.
_ Madame, fit le major en se levant poliment pour l’accueillir.
_ Lavina ! s’exclama le maître des lieux qui n’avait pas vu son employée depuis l’incident qui avait exigé qu’elle soit emmenée dans sa chambre, pour se reposer. Comment te sens-tu ?
_ Je vais bien mieux… je suis désolée de vous avoir inquiété avec toutes mes histoires.
_ Ce n’est rien, continua le marchand avec une attention, qui en dit long à Madok concernant les sentiments qu’il nourrissait pour l’ancienne concubine.
En observant cette dernière et ses manières distantes, le jeune homme en conclut que ces dit-sentiments étaient à sens uniques. Et qu’en dehors d’un profond respect, cette femme n’avait pas plus de considération que cela pour lui.
_ Viens donc te joindre à nous, l’invita le maître des lieux en tirant sur l’une des chaises afin qu’elle puisse s’asseoir. Toi aussi Devan, ne reste pas debout mon garçon.
_ Merci pour votre sollicitude, maître. Puis dans un sourire triste, elle s’adressa à l’officier qui se rassit juste après elle, Madok Patel… si un jour, on m’avait dit que ce serait toi qui me retrouverais… Je n’en n’aurais pas cru un mot. Il est loin le temps, où tu jouais avec ta petite épée de bois…
_ Je tiens à m’excuser, madame, contrairement à vous, je n’ai pas gardé grand souvenir de cette époque. Enfin, hors mis mes jeux avec votre fille.
À ce dernier mot, Lavina prit sa main dans la sienne et une expression suppliante se peignit sur son visage.
_ Comment va-t-elle depuis tout ce temps ? Et surtout, qu’est-ce qu’elle devient ?
_ Disons que c’est une très longue histoire, madame. Mais ce que vous avez besoin de savoir, c’est qu’elle va bien et qu’elle sera heureuse de vous savoir saine et sauve également.
En disant cela, l’attention de l’officier se porta sur Devan qui ne le quittait pas de son regard inquiet.
Ce n’était pas très frappant à cause des lumières blafardes dans la nuit, mais à présent que le garçon se trouvait à côté de la concubine, le major pu voir qu’ils avaient les mêmes yeux fauves qu’elle. Et ce n’était pas la seule caractéristique qu’ils partageaient. Leurs nez longs et droits, la forme angulaire de leurs visages et même les fossettes qui rehaussaient leurs joues, étaient similaires… ce petit était son fils, sans nul doute. Mais était-il aussi celui de feu le raja Azam ?
_ Heureuse de me revoir, vous croyez ? demanda Lavina un peu sceptique. Pourquoi Anisha voudrait revoir une mère qui ne s’est pas donnée la peine de la chercher…
_ Mère, vous n’y êtes pour rien, lui rappela Devan avec force. Vous ne saviez pas qu’elle était vivante, sinon je suis sûre que vous auriez remué ciel et terre pour la retrouver.
Comme il l’avait supposé la veille, Madok eut la confirmation que l’ancienne concubine pensait sa fille, morte.
_ Je ne connais pas le contexte de votre séparation, dit-il en choisissant ses mots afin de ne pas faire ressurgir de mauvais souvenirs qui pourraient la brusquer, mais vous pouvez vous rassurer sur le sort d’Anisha. Une famille de pêcheur l’a trouvé dans le port principal d’Albatra, elle l’a recueilli et élevée comme si elle était de leur sang…
_ Pourquoi n’a-t-elle pas tenté de chercher notre mère plus tôt, demanda Devan sur un ton de reproche. Pourquoi a-t-elle attendu autant de temps ?
_ Ce n’était pas si simple, il faut dire que la mémoire d’Anisha a été sérieusement altérée, expliqua Madok. Et ce n’est que quand nous l’avons retrouvé, que nous lui avons rappelé qui elle était en réalité.
_ Vous êtes sûre qu’il s’agit bien de l’enfant de Lavina ? demanda soudainement le commerçant qui s’était gardé de parler jusque-là. Je veux dire… si cette fille n’a pas le souvenir de qui elle est, vous avez peut-être fait erreur sur la personne…
_ Absolument certain. Et j’en veux pour preuve que je connais cette fille depuis ma plus tendre enfance. De plus, il y a son prénom qu’elle n’a jamais oublié et le collier qui l’identifie comme princesse…
_ Si c’est vraiment le cas, se décida à dire l’homme un peu penaud, cette petite est une véritable miraculée. Puis à l’intention, de Lavina, je n’ai jamais exigé que tu me dises qui tu étais vraiment, mais tu sais, au fond de moi, j’ai toujours su que tu ne pouvais pas être une fille du peuple. La grâce que tu avais, ton esprit vif et même tes manières te disqualifiaient de notre simple caste.
_ J’aurais aimé prendre le temps de vous en parler, à Devan et vous, mais je ne voulais pas vous mettre en danger. Je me disais qu’en restant cloîtrée dans ce domaine, je garantirais mon anonymat. D’ailleurs, comment vous avez su ? demanda-t-elle au major.
_ Pour être franc, je ne savais rien avant de vous rencontrer. En venant ici, j’avais surtout pour but de délivrer ce jeune garçon que je croyais réduit à l’esclavage.
Madok se garda tout de même de préciser, qu’il avait eu pour autre finalité, de questionner le marchand afin de lui soutirer de potentielles informations. Après un moment à discuter et de questions en réponse, le jeune homme avait fini par apprendre la vérité concernant les tragiques événements qui avaient séparé Anisha de sa mère.
Et c’est avec une rancœur particulière, qu’il se jura de défaire les pirates à l’origine des malheurs de son amie.