La femme légitime
_ Je peux savoir qui vous a permis d’entrer ?! s’emporta Helias, tandis que Faith s’était figée devant Anisha et lui.
Aussitôt qu’elle prit conscience qu’ils n’étaient plus seuls dans la chambre, son ancienne maîtresse détacha ses mains d’autour de son cou et recula.
_ Je ferais mieux de m’en aller, sire…
_ Anisha… non, attends…
_ Sire, intervint Faith sur un ton qui se voulait modulée, mais qui ne cachait rien de ce qu’elle ressentait vraiment, je suis là pour vous entretenir d’un sujet important. Et si vous le permettez, j’aimerais le faire séance tenante.
Helias soupira devant le dilemme qui se posait à lui, si tout son être voulait rester auprès de sa belle et profiter d’une nuit d’amour sans pareil, son devoir de roi venait s’imposer à lui.
Une expression pleine de regret et le cœur à vif, il regarda Anisha quitter les lieux sans se retourner. Dieu que son départ allait être terrible, réalisa-t-il soudainement avec amertume.
_ Majesté, l’interpela Faith en s’approchant de lui et en lui saisissant la main.
_ Très bien, que voulez-vous ? soupira l’homme qui n’avait qu’une envie, c’était que cette femme dise ce qu’elle avait à dire et qu’elle s’en aille.
_ Je sais que ce que vous allez entendre ne va pas vous réjouir, seulement, en tant que votre femme légitime, j’ai aussi des droits sur vous ! Que vous passiez du temps avec d’autres, ne me dérange guère, mentit Faith pour minimiser l’humiliation qu’il lui imposait, mais avant cela, vous devez d’abord répondre à mes besoins.
_ De quoi parlez-vous, madame ?
Au lieu de continuer à discourir ou à s’expliquer plus en détail, Faith détacha sa capeline en soie céladon et la laissa tomber à ses pieds. Son corps n’était que légèrement vêtu, et le voilage pâle qui lui servait de robe de nuit, ne cachait aucun de ses attributs. Bien que cette femme revendiquait ses droits sur lui et qu’il aurait dû y répondre par devoir, Helias ne put s’empêcher de détourner la tête.
_ Regardez-moi, Sire.
_ Je suis désolé, fit le souverain que les sentiments pour Anisha rendaient complétement imperméable.
_ Qu’y a-t-il ? Ne suis-je pas à votre goût ?
Attristé par le mal et l’humiliation qu’il affligeait à sa compagne par son attitude égoïste, il se baissa et ramassa la capeline à ses pieds.
_ Je vous demande pardon, madame, dit-il en la recouvrant avec. Vous êtes une très jolie femme et là n’est pas le problème…
_ Alors quoi ? demanda-t-elle avec le regard humide. Vous ne m’épousez que pour donner une reine digne à votre peuple ? Avez-vous songé, monsieur, une seule fois aux ressentis qui peuvent être les miens ? Avant d’être une princesse ou une reine, je suis d’abord une femme…
_ Je suis loin d’y être inattentif, croyez-moi.
_ Vous l’êtes, Sire. Vous m’aviez promis que votre histoire avec Anisha était terminée, et même si je vous retrouve dans ses bras, je ne vous le reproche pas. Seulement, quand moi, je demande mon dû, vous vous défilez.
Il avait beau chercher à se cacher derrière des raisons ridicules, Helias ne pouvait réfuter le fait, que sa future femme avait raison, ni le fait, que la cohabitation qu’il allait s’imposer, n’allait pas être aussi facile à gérer qu’il le pensait.
Si par le passé, il s’était plu dans les bras de femmes différentes, son désir et son cœur furent scellés par ceux d’Anisha. Après avoir connu cette dernière, son âme ne pouvait trouver le repos et son cœur refusait de s’ouvrir à qui que ce soit d’autre.
_ Sire, par pitié, implora Faith qui semblait avoir besoin de se savoir légitime autrement que par un titre, ne me renvoyez pas au froid et à la solitude de mes appartements. Je ne vous demande pas de consommer notre union ce soir, mais gardez-moi auprès de vous… permettez-moi d’être autre chose qu’une simple figurante dans ce royaume… car le cas contraire, devoir ou pas, je ne pourrais continuer sur cette voie…
Sur ses mots, la jeune princesse, posa sa tête sur le torse de Helias et bien que ce contact le mît mal à l’aise, il prit sur lui et soupira.
« Tu dois t’y faire, se sermonna-t-il tandis que son corps luttait contre l’envie de s’éloigner de cette fille. Tu dois t’y faire puisque c’est le choix que tu as fait, pour ton peuple, pour ton royaume. »
***
Anisha fut raccompagnée par Cocin, sur le trajet, elle sentait son cœur se serrer comme jamais. Elle aurait voulu s’arrêter dans ces longs couloirs et se laisser tomber au sol pour pleurer. Pleurer sa peine et aussi son humiliation. Elle qui avait toujours eu la prétention d’être une femme juste, se retrouvait dans un rôle qu’elle exécrait : celui de maîtresse.
Depuis la demande en mariage de Helias, elle s’était pourtant défendue de céder au titre de concubine. Et voilà qu’à quelques jours de ses noces, sa femme les surprenait dans une situation bien embarrassante.
En se remémorant l’image d’eux, s’embrassant devant Faith, Anisha se frappa le front du plat de sa main.
_ Madame, est-ce que ça va ? lui demanda le valet qui fut surpris par son geste.
_ Oui, très bien, répondit-elle d’une voix à peine audible de honte.
_ Gisèle est de relâche aujourd’hui, continua l’homme qui voulait sûrement donner le change et lui permettre de se focaliser sur autre chose, je vais demander à Nadila de descendre vous assister ce soir.
_ Ça ne sera pas nécessaire…
_ Vous êtes sûre ? Elle vous tiendra un peu compagnie par la même occasion ?
La jeune femme esquissa un sourire à l’homme qui autrefois se plaignait d’elle et de son comportement indocile. Malgré la sévérité avec laquelle il l’avait traité à son arrivée, elle se souvenait que Cocin était la première personne qu’elle avait estimée. En refusant de rentrer dans le jeu d’humiliation d’Ortensia, il lui avait prouvé qu’il avait une certaine décence et une morale à toute épreuve.
_ C’est gentil de t’inquiéter pour moi, Cocin, mais j’ai besoin de rester seule.
_ Je comprends, mais si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à m’envoyer un garde. Même en pleine nuit.
La jeune femme hocha la tête et remercia le valet avant de rejoindre ses appartements.
Un soupir plein de désespoir quitta sa poitrine quand elle se retrouva seule et ses pensées retournèrent immédiatement à Helias et à sa femme.
Elle se demandait bien malgré elle, ce qu’ils faisaient en ce moment-même.
La prenait-il dans ses bras, comme il l’avait fait pour elle, un peu plus tôt ?
L’embrassait-il avec autant d’ardeur ?
Toutes ses questions avaient une réponse évidente et même si son cœur voulait se persuader du contraire, Anisha n’était pas dupe.
Elle avait vu, furtivement la tenue légère qui dépassait de la capeline de Faith. Ce genre d’étoffes affriolantes ne se portait pas lors d’une simple visite de courtoisie ou d’une audience quelconque. Non, la princesse de Saragon avait rejoint son mari pour une nuit de passion, et que cela lui plaise ou non, Anisha savait qu’il y répondrait ardemment.
Refusant de laisser les images des deux amants aggraver son mal-être, elle secoua la tête et alla rejoindre la salle d’eau.
Peut-être qu’un bain l’aiderait à décrisper son corps tendu par le trop-plein d’émotions et surtout de déception…