La visite de Helias
Le regard perdu sur les jardins du palais, Anisha réfléchissait à ce que sa sœur lui avait dit l’avant-veille. Il était vrai qu'inviter Madok à l’accompagner au mariage de Helias l’aurait fait se sentir bien mieux. Au vu de la scène qu’il lui avait fait la dernière fois, elle imaginait d'ici, l'état de son ancien amant quand il la verrait danser au bras de son ami d’enfance…
Si une part d’elle voulait faire boire l’amertume à Helias, dans le même verre dont il l’avait abreuvé, une autre, tentait de la dissuader. Madok n’avait rien fait pour mériter d’être utilisé de la sorte. Il semblait sincèrement tenir à elle, et ce, malgré le temps qui les avait séparés.
« Tu lui demanderas juste de t’accompagner à cette réception, tenta-t-elle de se convaincre, ce n’est pas comme si tu lui faisais une promesse quelconque. »
Un long soupir échappa des lèvres d’Ani, tandis que sa raison intervenait à nouveau.
_ Qu’y a-t-il ? Ces lieux vont te manquer tant que cela ? Tu peux encore rester si tu le désires…
La princesse sursauta avant de se tourner vers Helias qu’elle n’avait pas entendu entrer et qui n’avait pas été annoncé.
_ Désolé, je ne voulais pas te faire peur, s’excusa l’homme en avançant lentement vers elle.
_ C’est que Lorelie ne m’a pas averti de votre arrivée…
_ Je lui ai dit de disposer, la devança le souverain en dardant sur elle un regard enveloppant. Je voulais m’annoncer moi-même, mais en te voyant si absorbée par le lointain, j’ai préféré t’observer sans rien dire.
_ Et que me vaut votre visite ? demanda Anisha qui sentait déjà ses sens s’emballer et son corps frissonner à l’idée de se retrouver seule et proche de son ancien amant.
Le regard de givre la détailla tout un instant avant qu’une réponse ne lui soit donnée :
_ En vue de ton départ, je devais te convoquer pour ta destitution, mais… comme je n’avais aucun messager sous la main, je me suis dévoué à endosser ce rôle…
Si c’était une information sérieuse et une décision grave, le ton qu’utilisait Helias, lui, se voulait léger, ou plutôt séducteur…
« Non mais ressaisis-toi ! Se fustigea Anisha qui assistait une énième fois à un emballement de ses sens. Ce type va se marier dans quelques jours et toi, tu continues d’espérer des choses impossibles. Tu n’as pas fui le statut de concubine pour endosser celui de maîtresse, tout de même ? »
Après avoir convoqué tout ce qui lui restait d’amour-propre et de raison, Anisha fit un pas en arrière pour se libérer de l’aura ensorceleuse qui la contraignait.
_ Je vois, fit-elle en hochant la tête, puisque l’heure est arrivée pour moi de céder ce titre, alors je vous suis, Sire…
Et alors qu’elle attendait qu’il se décide à quitter le balcon et à repartir, l’homme s’avança à nouveau vers elle. Elle voulut reculer encore, mais la balustrade en marbre la retint. Prise au piège entre la pierre froide et le corps de Helias, Anisha se sentit acculée.
_ Sire, on devrait…
La grande main du souverain vint se poser sur la joue de la jeune femme, et après l’avoir caressé lentement, il se pencha sur elle…
_ Non, Sire…
Helias s’arrêta à quelques centimètres de ses lèvres, provoquant un déferlement de ressentis contradictoires.
_ Qu’y a-t-il mon amour ? Ce n’est pas toi qui as dit vouloir un souvenir que nous pourrions chérir, une fois éloignés l’un de l’autre ?
Oui, il était vrai qu’elle avait pensé ainsi durant un court instant de faiblesse, ou plutôt de désespoir. Mais en prenant conscience qu’il partageait déjà la couche de sa future épouse, Anisha ne pouvait plus s’immiscer dans le couple qu’il formait avec cette dernière.
_ J’ai parlé sans penser aux conséquences, Sire, bredouilla Ani qui sentait que son être tout entier se consumait et que son âme criait son désarroi. Je… je n’aurais jamais dû dire pareilles inepties, vous êtes sur le point de vous marier et cela serait injuste envers votre femme…
A ces mot Helias se redressa.
_ Ce n’est pas comme si elle ne connaissait pas mes sentiments pour toi, elle sait que…
_ Que je suis votre maîtresse ? C’est bien ce rôle que je refuse d’endosser… libre à elle de ne pas y voir d’inconvénients, mais pour ma part, cette situation me gêne…
Après avoir acquiescé de la tête, le souverain recula. Il semblait déçu, mais loin de se montrer caractériel comme à son habitude, il lui adressa un sourire compréhensif.
_ Bien, si c’est comme ça que tu vois les choses, alors, je ne peux que m’incliner…
_ Merci de faire l’effort de me comprendre, Sire. Je sais que nous n’avons pas toujours été sur la même longueur d’onde, et que nos relations n’ont pas forcément été les meilleurs, mais pour moi, vous restez un homme avec des principes honorables en dépit de votre fort caractère. Vous allez beaucoup me manquez…
_ Ce n’est pas encore l’heure de nous faire nos adieux, fit le roi qui trouvait la tirade proche de celle, que l’on dit à une personne que l’on va quitter dans l’heure. Tu es encore là jusqu’à demain… et puis tu reviendras pour mes noces et celles de ta sœur…
_ Je le sais bien, dit-elle pas encore certaine de venir pour ses noces à lui, seulement, demain, il y aura du monde, et je ne pourrais pas vous parler aussi librement. Quant à votre mariage et après, je ne me permettrais plus de vous adresser la parole avec autant de désinvolture, vous serez officiellement un homme marié.
_ Es-tu en train de m’annoncer que tu m’ignoreras dans le futur ? Après tout ce qui s’est passé entre nous ?
_ C’est justement en raison de ce qui s’est passé entre nous, que nous serons amenés à garder nos distances, Sire. Vous et moi, on est conscient de ce qu’une trop grande proximité peut entrainer…
_ Pour ma part, cela ne me gêne en rien. Je t’aime et je n’aurai aucun scrupule à te le rappeler à chacune de nos rencontres, Anisha…