Raphaël est assis sur le siège du taxi qui doit le déposer à Abomey. Le regard rivé sur l'extérieur, il observe distraitement le paysage qui défile devant ses yeux. Le vent sec, froid et mordant qu'est l'harmattan lui fouette le visage. Cependant, le jeune homme ne semble pas en tenir compte et pour cause, tout son esprit est perturbé. Il a toujours peur d’affronter son passé ; toute la vie qu'il a laissé derrière lui en partant. Les paroles de Doguecimi l’on rassuré sur le fait que sa réconciliation avec son père sera effective. Toutefois, il reste les regards des villageois qui, selon lui, le jugeront. Ses amis, il les avait abandonné sans laissé ne serait-ce qu'une lettre.
« Je ne sais pas ce qui m'attendra là-bas. »
« Pourquoi te préoccupe tu ainsi des regards des autres ? » entend t-il dire une voix dans sa tête.
Surpris, il sursaute, effrayé. Il est sur le point de crier mais, en sentant les regards des autres passagers sur lui, Raphaël se ressaisir.
« Pourquoi te préoccupe tu d'eux ? » demande encore la voix.
Il reconnaît alors la douce voix de la nymphe.
« Doguecimi ? C'est toi ? »
« Je t'ai dit que je serai avec toi, n’est-ce pas ? Déjí do mì. »
Grâce au bracelet qu'elle lui a offert, Doguecimi peut communiquer avec le jeune homme par la pensée. Tout comme les fils ont servi à se relier pour former se bracelet, il permettent aussi de créer un lien télépathique entre Raphaël et elle.
Un sourire s'affiche sur le visage de Raphaël. La présence de l'adolescence, même si ce n’est que dans ses pensées, le rassure.
« Les pensées son intimes. Ne sais tu pas qu'il est malpoli de lire les pensées d'une personne sans son autorisation ? C'est une violation de la vie privée. »
« Je ne suis que le cours de tes pensées. Dɔ hô nú mi. Pourquoi the soucis tu autant du regard des autres ? »
« Tu es dans mes pensées alors, tu dois le savoir. »
« Le plus important, c'est que ta famille te pardonne. Le reste suivra. Tout finira par s'oublier avec le temps. L'eau a dû couler sous les ponts depuis. »
« Si tu le dis, je te fais confiance. »
Le sourire de Raphaël s’élargit. Cette fille a toujours su lui remonter le moral et l'aider à croire en lui.
« Doguecimi ? »
« Oui ? »
« Merci pour ton soutien. Tu n'es pas une nymphe pour rien. »
« Ce n'est rien. N'oublies pas, tout se passera bien. Pense juste à ta famille. »
Le reste du voyage se passe sans encombres. Tout comme le lui a conseillé la nymphe, Raphaël ne pense qu'à son père qui lui pardonnera et toute sa famille réunie et fière de lui.
Quand le jeune homme arrive à Abomey, il est presque midi. Il demande au chauffeur de l'amener directement à la maison de son père. Il se rend compte à chacun de ses passages que les lieux n'ont pas changé.
« Les lieux n'ont pas changé mais, les gens, si. » pense t-il.
Peu à peu, un groupe d’enfants se forme derrière l'automobile. Ils courent derrière elle en criant et en jacassant. Plus ils approchent et de plus en plus vite le cœur de Raphaël bat.
—Fí wè, dit-il au chauffeur en apercevant le toit de tôles d'acier rouillés de la maison paternelle.
Le conducteur s’arrête. C’est le moment de sortir pourtant, le jeune homme hésite. La maison, à ce qu'il remarque alors, n'a pas changé. Elle est à moitié clôturée et les murs de briques de la maison principale sont toujours en bon état.
« Vas-y. » lui intime Doguecimi.
Hésitant, il finit toute de même par sortir de la voiture. Au même moment, ses yeux rencontrent ceux de Christelle, la benjamine de la famille qui est à présent âgée de huit ans. Il remarque qu’à ses côtés se trouve leur mère Huguette. Le cœur de Raphaël loupe un battement puis s’élance dans une course folle. Son souffle se fait court. Il hésite entre le fait d'aller à sa rencontre ou rester là en attendant que ce soit elle qui fasse le premier pas.
De loin, la nymphe observe la situation à travers les iris de Raphaël.
Christelle elle, se détache de sa mère pour venir se s'accrocher à lui en signe de bienvenue. Il baisse la tête pour l'observer.
« Que tu as grandi. » pense t-il.
—Chrisso, ça va ?
—Ça va bien, répond la fillette de sa petite voix d'enfant.
—Fōfō, intervient le chauffeur de taxi, j'ai des clients qui m'attendent.
—Pardon, s'excuse t-il.
Puis, se détachant de sa sœur, il aide le taxi man a débarquer les colis du coffre. Après quoi, il paie le chauffeur qui s'en va quelques secondes plus tard.
Le jeune homme est toujours planté au milieu de la cour. Il voit sa mère qui vient alors à sa rencontre, un sourire aux lèvres. Quand elle arrive à sa hauteur, le premier réflexe qu'il a est de s'agenouiller à ses pieds afin de lui demander pardon. Cependant, sa mère l'en empêche. Ses deux mains son posées sur ses épaules. Elle tourne la tête de gauche à droite.
—Mon fils, dit-elle en langue fon, je suis contente que tu sois là. Les dieux t'ont fait revenir à moi sans maladie. Ils ont écouté les prières. Sois le bienvenu dans ta maison.
—Maman… commence t-il.
La gorge nouée et ému, il a du mal à continuer sa phrase. Sa mère en profite pour le couper dans son élan.
De son regard bienveillant, la matriarche s'adresse à son fils. Elle aussi est émue de revoir son enfant vivant et en bonne santé. Toutefois, elle se force à ne pas s'effondrer et remettre les laisser-aller pour plus tard, lorsque la famille entière sera réunie autour d'une lampe.
—Viens. Entrons d'abord. Tu me diras tout après.
Raphaël hoche la tête.
—Tété, Sagbó ? appelle t-elle.
Les jumeaux, frère et sœur cadets de Raphaël tous deux âgés de onze ans, accourent. Quand ils remarquent leur grand frère, un sourire s'affiche sur le visage de chacun.
—Fófó, s’exclament ils à l'unisson.
Ils viennent à sa rencontre.
—Ramenez ces colis à la maison, ordonne leur mère en fon. Vous allez lui parler après.
Les enfants s’exécutent. Pendant ce temps, Raphaël est conduit par sa mère à l'intérieur du logis. Son cœur bat la chamade et sa respiration se fait lente. Ses pas sont incertains tant la gêne ralentissait ses mouvements. Lorsqu'il entre dans le salon. Il se rend compte que l’intérieur a changé. Les murs sont à présent peints de bleu. Une table à manger ainsi que quatre chaises complètent à présent le mobilier. Les vieux fauteuils n'ont pas été changés. Seul le guéridon a été remplacé par un autre fait de bois ciré. Le sol lui, qui était de terre battue à l'origine a été cimenté.
La maîtresse de maison a elle-même tenu a donner l'eau à boire à son fils. Toujours ému, le jeune homme saisit le gobelet qui lui est tendu. Dans les yeux de sa mère, il ne lit pas de la colère mais de la joie ; le joie de retrouver un fils qu'elle croyait avoir perdu.
« Bois. Mais avant, tu dois penser aux ancêtres. » lui dit Doguecimi.
Sur ce conseil, Raphaël versé un peu d'eau sur le sol pour les ancêtres avant de porter le récipient à sa bouche et prendre une gorgée. Une pointe de nostalgie l'envahit. Le goût et l'odeur de cette eau que seule le village peut fournir a manqué à ses papilles. A cet instant, cette source de vie lui parait bien meilleure que celle qui s’écoule à travers les robinets de la ville.
—Merci, dit il reconnaissant.
Mère Huguette reprend le gobelet et le remet à sa place, c’est-à-dire sur le guéridon. Les enfants ont fini de ranger les colis. Tous se retrouvent alors dans le salon. Un silence lourd s'installe entre eux tous. Curieusement, même la plus jeune observe ce calme troublant.
Chacun semble chercher ses mots, des mots d'excuses ou des mots de réconforts.
—Pardon, mère, commence t-il en langue fon. Je ne…
Elle l’arrête d'un signe de la main. Il la voit tourner négativement la tête.
—Vas d’abord voir ton père. Il est dans son champ. Ce n'est que lorsqu'il t'aura dit qu'il a sur le cœur que tu pourras revenir vers moi. Vas y.
D'abord hésitant, Raphaël finit par se lever. Il hoche la tête.
—D’accord, mère. Je le ferai.
—Je veux aller aussi, intervient Christelle tout sourire.
—Non, tranche sa mère. C'est une affaire de grand. Reste ici en attendant que ton père et ton grand frère reviennent ensemble.
La fillette semble bouder. Néanmoins, elle ne discute pas les ordres de sa mère.
« Vas-y. N'ai pas peur. Je serai près de toi. » le rassure la nymphe.
Le chemin vers le champ appartenant à la famille, il s'en souvient parfaitement. C’est donc avec facilité qui se retrouve dans le champ qu’il a cultivé presque toute sa vie. Ses yeux se baladent sur les terres parsemées de tubercules. Les arbres fruitiers eux, sont toujours à leur place. Chaque parcelle de ce domaine représente un fragment des souvenirs de son passé. Combien de fois a-t-il joué dans ce champ ? Combien de fois y a-t-il couru avec ses amis ? Combien de fois a-t-il grimpé sur tel ou tel arbre afin d'observer le village depuis sa cime.
« J'ai l’impression de n’être jamais parti. » se dit il.
La nymphe apparaît à ses côtés. Il lui faut normalement en endroit comparable à une forêt pour s'installer cependant, il lui tardait de pouvoir retrouver Raphaël afin de lui apporter son soutien grâce à sa présence.
—C’est parce que tu es attaché à cet endroit. Quoi que l'on fasse, l'on revient toujours à ses racines. Maintenant, vas-y. Ton père t'attend.
Il hoche la tête puis pénètre un peu plus sur le domaine. Il ne lui a pas fallu longtemps pour apercevoir la silhouette de son père. Ce dernier est debout devant un manguier. Raphaël ne sait s’il doit se rapprocher plus près ou l’appeler d'abord.
—Rapproche toi de lui, lui conseille Doguecimi. Ce serait irrespectueux de l'appeler de loin. N'es tu pas ici pour demander son pardon ?
—Tu continue de lire dans les pensées, chuchote t-il.
—Non. Je suis juste le court de tes pensées.
—Soit.
Raphaël diminue donc la distance qui le sépare de son géniteur. Lorsqu’il arrive à un mètre de ce dernier, il l’appelle.
—Père, dit il.
L'homme se retourne automatiquement. Il avait sentit la présence de son fils dès qu'il avait pénétré dans le champ et s'il est resté dos à lui jusqu’à présent, c’était pour ne pas monter son affectation. Quand ses yeux se posent sur la silhouette grande et mince de son fils, que n'a été sa joie de le voir en bonne santé.
Le jeune homme a le temps de remarquer que son cher père a vieilli et ce, bien plus que ce que son âge ne devrait normalement laisser voir. Des rides se sont creusées sous ses yeux, ses joues sont presque saillants, des cheveux blancs se présentent ça et là dans sa chevelure crépue et son corps est plus svelte. Son aspect physique fait penser qu'il a soixante dix ans alors que sa soixantaine est à peine entamée. Dis années se sont abattues sur le vieil homme, affaissant ses épaules et fragilisant son corps.
Ce constat remplit encore plus le jeune homme de remords.
Le premier réflexe qu’à Raphaël est de s'agenouiller devant l'homme qui lui a donné la vie. La tête baissée, il s'excuse.
—Pardon, père. Je suis un fils indigne.
Un long silence s'installe tout d'un coup. Le regard rivé sur le sol, il ne peut lire l’expression sur le visage de Jean Sokin, son père.
—Non, mon fils. Relève toi. dit il finalement.