La décision du Maharaja 6
Lavina avait eu beau supplier les différents intendants ainsi que le grand Conseiller, mais personne ne voulut accéder à sa requête. Elle n’était qu’une concubine sans aucun pouvoir, et son compagnon avait beau se trouver en piteux état, elle n’était pas autorisée à rester près de lui.
Après le malaise du raja, on l’avait reconduit malgré sa volonté à la cour intérieure. Se retrouvant démunie et impuissante, elle n’avait cessé de tenter de revenir au palais. Si bien qu’on l’avait consigné dans ses appartements avec interdiction de sortir.
Lavina avait fait les cents pas durant des heures, elle se demandait comment elle aurait pu fausser compagnie aux gardes qui veillait à la porte, ou à défaut, trouver le moyen de convaincre la gouvernante de la laisser retourner auprès de son compagnon.
Le temps passait inexorablement et son cœur se délitait en imaginant Azam souffrir. Comment un homme de sa stature, pouvait céder aussi vite à une simple intoxication alimentaire ? C’était juste impossible… il y avait autre chose, c’était certain.
Ses pensées noires prirent le dessus et sa tête entra en des conjectures plus effrayantes les unes que les autres.
Comprenant qu’elle allait trop loin, la jeune femme s’assit sur son lit et prit son visage dans ses mains.
La vie lui avait tant offert, et bien des fois, elle s’était surprise à avoir peur du trop grand bonheur qui était le sien. Elle s’était demandée ce qu’elle avait fait de bien pour mériter toute cette chance, et jusqu’à quand, elle pourrait encore en bénéficier. Jusqu’à quand, un homme de la trempe d’Azam allait encore l’aimer et la chérir de la sorte ?
Voilà, aujourd’hui, elle risquait de voir le bout de toute cette fortune. Elle risquait de se retrouver seule, avec sa petite et son enfant à naître. Seule dans un lieu impitoyable où il fait mauvais vivre sans soutien puissant…
_ Madame, la rani vous réclame, lui dit doucement sa suivante par peur de la déranger.
_ Dit à Nora de l’emmener dans les jardins, fit Lavina en se redressant et essuyant ses larmes, et qu’elle s’y amuse avec elle.
_ Madame, la petite ne veut rien entendre, elle insiste pour être auprès de vous.
_ S’il te plaît, fait ce que je te demande, supplia-t-elle plus qu’elle n’ordonnât. Je ne veux pas qu’elle me voit dans cet état.
_ Bien, madame, je m’en retourne donner vos instructions à la nourrice.
Alors que Aliya allait s’en aller, la gouvernante fit son apparition dans l’encadrement de la porte.
_ Madame, je viens aux nouvelles… l’état de sa majesté s’est dégradé et il vous fait mander sur le champ.
La tête de Lavina tourna et ses oreilles se mirent à siffler. Le reste des instructions de l’intendante des lieux raisonnaient dans son esprit, mais ils étaient comme incompréhensibles.
Le cœur battant comme jamais et les jambes flageolantes, elle s’efforça de se mettre debout, mais ce fut impossible. Elle dut s’y reprendre à deux fois avant d’y arriver, enfin.
_ Madame, je sais que c’est difficile, mais vous devez vous hâter, l’encouragea la gouvernante.
_ Que vous a-t-on dit au juste ?
_ Rien en dehors du fait que sa majesté fait de son mieux pour résister au mal, mais que sa conscience menace de s’altérer…
La chambrée se tourna vers Lavina dès qu’elle y fit son entrée dans les appartements de l’héritier de la couronne. Les regards pleins de compassion lui en dirent plus sur la situation que mille mots. Ses yeux se remplirent de larmes, et c’est sans attendre qu’elle accourût au chevet du raja.
_ Laissez-nous, murmura ce dernier malgré sa bouche alourdie par la douleur.
_ Que tout le monde sorte, ordonna Mehal pour éviter que le jeune homme n’ait à se répéter. Majesté, on doit les laisser parler un instant, fit-il à l’intention du roi qui restait interdit, les yeux rivés sur son fils.
_ Oui, je viens de suite, acquiesça-t-il d’un ton blanc. Évite de trop le faire parler, dit-il tout de même à la concubine qui n’avait d’yeux que pour son compagnon que la maladie avait métamorphosé.
_ Mon amour, que vous arrive-t-il ? demanda Lavina en saisissant la main enflée de son bien-aimé. Comment se fait-il qu’aucun des hommes présents, n’a pu trouver ce que vous aviez ?
_ Ma chérie, je suis désolé de t’imposer ça, surtout dans ton état. Mais tu sais, je ne pense pas que j’aurai la force de me battre encore longtemps, c’est pour cela que…
_ Non, ne dites pas cela…
_ S’il te plaît écoute-moi…
Après avoir essuyé une salve de toux douloureuse, il tenta de reprendre :
_ Lavina… je suis bien placé pour savoir que mes forces m’abandonnent petit à petit… et je refuse que tu laisses le chagrin avoir raison de toi…
_ Mais enfin, pourquoi me dites-vous toutes ces choses ?! Vous allez vous en sortir et nous serons à nouveau heureux, vous verrez…
_ J’aimerais tant que cela soit vrai, mon amour, seulement, les choses ne se passent pas toujours comme on le voudrait… et j’aimerais te voir forte dans cette épreuve. Ne fais pas ressentir à notre fille plus de chagrin qu’elle n’en aura, en devenant l’ombre de toi-même.
_ Azam, jamais, je ne pourrais te survivre…
_ Tu le dois, mon cœur. Nos enfants comptent sur toi… et je compte sur toi…
C’en était trop ! Le corps endolori par la peine, Lavina ne pouvait plus contenir ses émotions. Elle sanglota tant, que le raja se redressa malgré son mal, pour la prendre dans ses bras. Pour la consoler et par la même, se consoler, lui aussi.
_ Lavina, je t’aime, et je t’aimerai à jamais, dit-il dans un murmure douloureux. Alors s’il te plaît, ne conditionne pas ta vie à mon souvenir, tu dois vivre et aimer à nouveau… quant à nos enfants, parle-leur de moi, dis-leur que j’ai été le plus heureux des hommes de les avoir, et que j’attends d’eux qu’ils soient heureux à leur tour.
_ Tu le leur diras toi-même ! Je suis sûre que l’on va trouver une solution et te guérir rapidement… s’il te plaît Bats-toi encore un peu… pour nous…
Azam esquissa un sourire contrit. Il était évident qu’il puisait dans ses dernières ressources pour converser avec elle, elle en était consciente même si elle ne réalisait pas ce qui lui arrivait.
_ Tu devrais aller chercher père, fit-il après avoir posé une main sur sa joue, on doit lui annoncer la bonne nouvelle. Ça ne le consolera pas, mais il pourra entrevoir l’avenir plus sereinement…
Lavina s’exécuta. Elle aurait voulu rester encore seule avec lui, mais elle devait s’en tenir à la volonté de son amour. Arrivée devant la porte fermée, elle entendit les voix de Mehal et du médecin. Leur échange concernait l’état du prince. Elle allait poser sa main sur la poignée quand l’érudit confirma qu’il pensait aussi que ce mal était du fait d’un poison.
_ Mais comment il aurait pu en ingérer sans s’en rendre compte ? On parle de l’héritier, des goûteurs s’assurent de l’innocuité de chaque aliment.
_ Oui, je le sais bien, mais si c’est de l’abrine qu’il s’agit, les symptômes peuvent mettre plusieurs jours avant d’apparaître et il ne serait pas étonnant, que l’un de ces pauvres goûteurs en question finisse par présenter des signes à son tour. Et puis, il faut savoir que le goût de cette graine peut passer inaperçu dans un tonique, vu qu’il se rapproche de celui du réglisse.
Le sol se mit à tourner sous les pieds de Lavina. Ce qu’elle avait craint depuis l’annonce du maharaja s’était produit. On avait empoisonné l’héritier pour entraver son ascension et le coupable était tout désigné…