La décision du maharaja 7 et fin
Mehal alla rejoindre le souverain qui s’était réfugié dans l’un des salons de l’aile. Il était évident que la réalité le dépassait, mais il devait prendre une décision quant à la suite à donner à cette affaire d’empoisonnement.
_ Majesté, puis-je vous parler une minute ? Demanda le Conseiller en prenant une chaise et en s’attablant face à son roi.
_ Je sais ce que tu vas me dire Mehal… je le sais très bien, mais je ne veux pas l’entendre.
_ On a attenté à la vie du futur souverain de la nation, majesté, je sais que le moment est mal choisi, mais l’on doit engager une enquête pour découvrir la vérité. Plus nous attendrons et moins, nous trouverons de preuves…
_ Penses-tu que je ne le sais pas ?! s’exclama le maharaja sans élever la voix pour autant. Mehal, Azam souffre par ma faute… si je n’avais pas décidé de le nommer à me succéder, il ne serait pas dans ce piteux état…
_ Allons, cessez de vous fustiger. Ce qui est arrivé n’est en rien de votre fait. Si le raja avait remporté les défis, la même chose aurait pu se produire de toute façon. Ceux qui en ont après lui, veulent l’écarter quoi qu’il arrive…
Le souverain secoua la tête de dépit. Même si le Conseiller ne nommait pas le coupable directement, les choses étaient évidentes et le dilemme profond.
_ Que veux-tu que je fasse à présent ? Que j’envoie mon seul héritier encore en état de gouverner, à une mort certaine ? Tu as un fils, Mehal, tu peux comprendre mon tourment…
_ Majesté, le raja Kenzi est votre enfant, mais s’il est vraiment impliqué dans la mort de son frère, vous ne pouvez permettre qu’il monte sur le trône. Et puis, ce n’est pas comme s’il n’y avait pas de princes de sang digne de gouverner.
_ Je n’ai aucune envie que les fils de mon frère montent sur le trône, Mehal. Et puis ce potard à très bien pu se tromper quant à son diagnostic. Il y a nombre de maladies inconnues qui aurait pu avoir raison de mon fils. On l’a vu par le passé, cela arrive.
_ Majesté…
_ Il suffit, Mehal ! Donne l’ordre que l’on mette la chambre du prince en quarantaine et fait savoir qu’un mal rode au palais. Pour ce qui est de cette histoire de poison, je ne veux plus en entendre parler. Préviens tous ceux qui ont soigné mon fils, ils ont l’interdiction d’émettre une quelconque autre hypothèse que celle de la maladie.
_ Bien majesté. Il en sera fait selon votre volonté…
_ Pardonne-moi, Mehal, ajouta le souverain tandis que le Conseiller allait s’en aller. Prends cela comme la faiblesse d’un père… ou la folie d’un vieil ingénu…
_ Je n’ai rien à vous pardonner majesté, et j’ose à peine imaginer la souffrance qui est la vôtre…
***
_ Où est père, demanda avec difficulté Azam, en voyant Lavina revenir seule.
_ Mon amour, sanglota-t-elle à nouveau, que vous a-t-on fait ?
_ De quoi parles-tu ? Et pourquoi n’as-tu pas fait appeler le maharaja ?
_ Savez-vous seulement de quel mal vous souffrez ? Savez-vous que le poison qui vous ronge en ce moment même, est le fait d’un malintentionné ?
_ Lavina… qu’est-ce que tu racontes ? Tu as perdu la raison ?
_ J’ai tout entendu ! Le Conseiller de votre père en parlait avec les soignants. C’est horrible !
_ Mais enfin reprends-toi et exprime-toi clairement.
_ Il s’agit d’un poison ! Un poison qu’on vous aurait fait consommer dans un tonique. Quelque chose qui aurait eu le goût de réglisse…
Azam faisait face à une souffrance indescriptible qui menaçait d’emporter sa conscience à tout instant, et il avait beau lutter comme un diable contre cet aspect de son mal, il se savait condamné. Et d’entendre sa femme lui annoncer que cet état était dû à un empoisonnement volontaire, lui fit l’effet d’une douche froide.
Il avait peut-être été trop naïf pour envisager cette horreur, mais Lavina ne lui mentirait pas dans un moment pareil. Déjà qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant…
_ Lavina, s’il te plaît, fais venir le maharaja, souffla-t-il dans un effort qui lui coutât physiquement.
_ Avez-vous seulement écouté ce que je t’ai dit ?
_ Lavina, fais venir mon père ! ordonna-t-il.
Et alors que sa compagne s’était éclipsée, le jeune raja tenta de faire travailler sa mémoire. En effet, il avait pour coutume de consommer des toniques pour l’aider à se renforcer. Et pour la plupart, ils étaient composés d’infusion de reglisse, mais comment aurait-on fait pour frelater sa boisson après le contrôle des goûteurs ? Et quel herboriste aurait pu risquer sa vie en faisant une chose pareille ?
Quant au pourquoi ? Il ne pouvait se voiler la face.
Il devait se rendre à l’évidente vérité. Même si cela lui coûtait et lui brûlait le cœur, il devait accepter le fait qu’un commanditaire persuasif ait pu avoir une main dans son élimination. Et ce commanditaire, ne pouvait être un autre que son frère…
Sur cette pensée, son père accourut à son chevet et prit sa main.
_ Mon fils, tu m’as fait mander ? Je suis là, je t’écoute.
_ Père… soyez franc… que se passe-t-il exactement… que m’arrive-t-il ?
_ Je te l’ai dit mon fils, on pensait à une intoxication, mais après que nos érudits se soient consultés, on penche pour une variante quelque peu virulente d’un mal saisonnier. C’est une chose que l’on a pu observer par le passé…
_ Un mal saisonnier ? Répéta avec incrédulité Lavina qui se trouvait debout au pied du lit. Ce n’est pas…
_ Lavina, s’il te plaît, la coupa Azam qui pouvait lire le mensonge dans les yeux du roi.
_ Fils, les médecins sont en ce moment même au travail pour trouver un remède efficace. Et très bientôt, tu pourras retrouver toute ta forme…
Comprenant que le souverain qu’il était, préservait son autre héritier, Azam ne voulut pas insister. Lui faire avouer qu’il allait étouffer l’affaire pour le bien de sa lignée, ne l’aurait mené nulle part. Et puis à présent qu’il savait de quoi était capable Kenzi, il était préférable que les choses restent ainsi.
_ Je sais que vous faites ce qu’il faut père, et je vous en remercie infiniment.
_ Azam ! s’écria Lavina qui bouillait sur place. Tu ne vas tout de même pas cr…
_ Lavina, s’il te plaît, l’arrêta-t-il avant qu’elle n’en dise trop. Père, je suis désolé pour l’épreuve par laquelle je vous fais passer. Et sachez, que je suis heureux de vous avoir eu comme exemple dans ma vie…
_ Mon enfant, si seulement je pouvais prendre ton mal. Je ne peux supporter de te voir dans cet état…
Pour la première fois, le raja voyait son père pleurer. Cet homme au pouvoir immense, le commandeur de toute une nation, montrait sa vulnérabilité et sa tristesse.
_ Père, ne vous mettez pas dans cet état, le destin vous éprouve aujourd’hui mais dites vous qu’il y aura des jours meilleurs… et puis, vous devez vous montrer fort pour Kenzi. Il est fougueux et peu réfléchi, mais je suis sûr que si vous le guidez, il pourra devenir un grand souverain…
_ J’aimerais en être aussi sûr que toi…
_ Il le sera, avec votre aide. Père, fit Azam après un soupir, j'aimerais, cependant, que vous m’accordiez un vœu.
_ Quel est-il ? Je ferai tout ce que tu me demanderas.
_ Je veux que vous alliez au bout de votre décision et que vous me nommiez au trône, même si c’est à titre posthume.
Lavina n’eut pas l’air de comprendre, et son père non plus. Mais pour toute réponse, ce dernier acquiesça…
_ Pourquoi ? demanda Lavina, quand ils se retrouvèrent à nouveau seuls. Pourquoi avoir fait comme si de rien ? J’essaye de vous comprendre mais…
_ Lavina, mettons-nous à la place du maharaja un instant. Nous sommes parents et nous savons que nos enfants resteront nos enfants malgré tout ce qu’ils pourraient commettre.
_ Mais as-tu pensé aux tiens ? Qu’adviendra-t-il, s’il s’avère que je porte ton fils ? Penses-tu que ton frère le laissera en paix ?
_ C’est bien pour cela que je n’ai rien dit à mon père à ce propos.
_ Tu penses que c’est une chose que je pourrais cacher indéfiniment ?
_ Non, mais tu vas m’écouter attentivement et faire exactement ce que je vais te dire…
Après lui avoir exposé ses dessins, Lavina sembla prise d’une peur panique, il était évident qu’un grand nombre de questions la taraudait et il n’avait pas la force de la rassurer sur tous les points.
_ Lavina, tu dois faire ce que je t’ai dit et pour t’aider, je vais mandater un homme de confiance, mon valet…