Le subterfuge de Sirine
Sigmund Arrow avait une réputation qui le précédait.
Il aimait les femmes et ce n’était un secret pour personne, seulement en voyant cette jeune femme entrer dans son salon, il sut immédiatement qu’elle n’était pas ce qu’elle laissait croire. Et sous ses airs ingénus et séducteurs, se cachait une personnalité forte et résolue.
À sa demande, il congédia sa domestique. Il allait pouvoir entendre ce qu’elle était venue lui dire, grimée de la sorte.
_ À présent, nous sommes entre nous, madame, parlez donc sans détours, je vous en prie…
_ C’est que c’est un sujet quelque peu délicat, Marquis, fit son hôte toujours sur un ton léger, je ne sais par où commencer…
_ Eh bien, vous pourriez me dire votre vrai nom, cela serait un bon début déjà.
Le sourire naïf que lui offrait la jeune femme depuis son entrée, se figea ; et après s’être redressée sur son siège, elle lui dit avec plus de sérieux :
_ Qu’est-ce qui vous fait dire que le nom sous lequel je me suis présentée, n’est pas mon vrai nom ?
_ Vous savez, jeune fille, il y a longtemps que je fréquente les femmes de ce monde, aristocrates, bourgeoises et prolétaires confondues, et s’il y a bien une chose que j’ai apprise à leur sujet, c’est qu’elles sont loin d’être les fragiles créatures que l’on pense qu’elles sont. Quant à vous, j’ai de suite décelé votre manège, et si ce grimage vous confond avec toutes les dames superficielles de cette ville, il est clair à mes yeux que vous n’en faites pas partie. Bien au contraire, je sens que vous êtes d’une trempe supérieure, autant en esprit qu’en ambitions.
_ Vous me surprenez par votre perspicacité, messire, sourit son interlocutrice. Je vous savais clairvoyant et sérieux, mais j’espérais que mes charmes puissent quelque peu vous divertir et vous rendre plus attentifs à mes doléances.
_ Il n’est pas dit que j’y serais indifférent, madame. Tout dépendra de ce que vous voudrez de moi, cela va de soi.
Le regard soudain plus profond, son interlocutrice laissa de côté son jeu de femme futile et arbora un air sérieux.
_ Marquis, avant de vous dire qui je suis vraiment, je tiens d’abord à vous raconter une histoire. Une histoire qui concerne le souverain actuel de Targat…
Prenant la pleine mesure de ce qui allait être abordé et sa dangerosité potentielle, l’officier qu’il était se raidit.
_ Madame, l’avertit-il, n’oubliez pas que vous avez devant vous un homme assermenté et un loyal sujet de la cour.
_ Que vous soyez un loyal sujet de la cour m’enchante, Marquis, vous serez donc sensible à ce qui va suivre.
_ Je ne vous suis pas, madame, veuillez vous expliquer avec plus de clarté, je vous prie.
_ Ce que je tente de vous dire, mon cher marquis, c’est que notre roi actuel n’est en réalité qu’un piètre imposteur… et qu’il existe en ce pays, une personne bien plus légitime que lui à monter sur le trône…
_ Vous plaisantez ?! s’emporta Arrow en se levant de sa place.
_ Mon cher, ne vous énervez pas de la sorte, tenta de le radoucir Liviane en saisissant le bras de l’homme, mon amie ne dit pas cela sans preuve, vous pouvez me croire.
_ Qu’est-ce que vous racontez ? Vous avez perdu l’esprit toutes les deux ?
Puis en se rappelant que le père de son épouse était un traître fini, il comprit qu’en dépit de ce qu’elle lui avait dit avant leur union, elle avait hérité de ses idées dissidentes.
Quel simplet il faisait !
Au lieu de se poser plus de question, il avait laissé le jeune minois de cette créature lui faire oublier que la comédie faisait partie intégrante du caractère des femmes.
_ Vous m’avez dit que je pouvais vous parler sans détours, monsieur, lui rappela son hôte qui avait perdu toute minauderie dans la voix et qui le toisait d’un regard froid, dois-je comprendre que vous mentiez ?
_ Vous plaisantez ?! Je vous ai dit de parler pas de me rapporter de vils mensonges sur notre souverain. Savez-vous que cela constitue un crime, madame ?
_ Le crime, monsieur, c’est de cautionner qu’un imposteur prenne une place qui n’est pas la sienne ! Et si vous ne me croyez pas, alors écoutez-moi jusqu’au bout, je vous en dirais le fin mot…
***
Sirine savait qu’elle s’exposait en tentant de rallier un homme aussi sérieux et loyal que le marquis, mais elle devait tenter ce coup de maître.
S’il était remarquable et très suivi dans le monde martial, Sigmund Arrow saurait le moment venu, rallier les troupes à lui, et garantir à la jeune femme une stabilité rapide au sein du royaume.
Bien sûr, pour ce faire, elle ne pouvait lui dire de but en blanc qu’elle voulait se venger de son frère et le détrôner par pur caprice. Elle avait pensé à un subterfuge qui sèmerait le doute dans l’esprit de cet amoureux de l’ordre. Et si elle arrivait à dépeindre Helias comme un imposteur fini, elle pourrait ébranler sa loyauté envers ce dernier.
_ Helias d’Orburg n’est pas un imposteur, et je sais très bien ce que pensent ses détracteurs, madame. Il est le petit-fils d’une concubine et alors ? Dans nos lois, ce sont les pères qui transmettent l’identité, par conséquent, notre souverain est légitime à nos yeux !
_ Vous pensez sérieusement que c’est cela qui me permet d’affirmer qu’il n’est pas celui qu’il prétend ?
À ces mots, Sirine sentit dans le regard de l’homme, que son intérêt était piqué.
_ Marquis, vous êtes un officier dévoué et c’est tout à votre honneur, continua la jeune femme avec solennité, seulement, je ne pouvais vous laisser dans le mensonge…
_ Donc, pour m’approcher et me circonvenir, vous avez poussé votre amie à m’épouser, dit l’homme qui comprenait dans quel collet il fut pris.
_ Allons, mon cher, ne dites pas de telles choses, se défendit son épouse prise en faute. Mon amour pour vous est tout ce qu’il y a de plus sincère. Et si j’ai moi-même refusé de croire ce que m’avançait mon amie, j’ai dû me rendre à l’évidence devant les faits.
_ Et de quels faits, parlez-vous, bon sang ?!
_ Saviez-vous que le roi Helias avait une sœur plus âgée que lui ? demanda Sirine certaine de piquer un peu plus l’intérêt du marquis. Une fille que la reine avait eue avant de se marier à votre roi ?
_ Qu’est-ce que c’est que ces sornettes ? Vous insinuez que feu notre reine était déjà mère avant de prendre époux ? J’en ai assez entendu ! déclara Sigmund en se débarrassant de Liviane qui s’agrippait toujours à lui et en se dirigeant vers la porte.
_ Marquis, vous pouvez quitter la pièce et faire comme si vous n’aviez rien entendu, seulement, il n’y a qu’une vérité. Et je vous en donne pour preuve, ma personne même…
L’officier s’arrêta à ces mots et se retourna vers la jeune femme qui s’était levée à son tour et qui s’approchait de lui.
_ Monsieur, vous avez devant vous la sœur de celui que vous appelez votre roi…