Le soleil cognait ma nuque comme un poing, et ma tête se redressa vers le ciel en un spasme de rage. Mon être était à la recherche d'une preuve concrète qu'il existe bel et bien un Dieu, tandis que j'étais là, à souffrir, à être punie pour être venue au monde. Alors même que je ne me rappelais pas avoir choisi d'exister et encore moins de naitre dans cette famille-là.
L'agressivité du soleil brûla mon arrogance et je me courbai, les lourds bagages sous mes yeux me menant à les clignoter. Mon visage, privé des caresses de maman, car j'avais bien trop grandi, j'imagine, fut instantanément enflammé par des larmes chaudes. Hélas, mon chagrin ne s'y noyait pas.
En jetant un coup d'œil sur le gravier de la route mal faite, des souvenirs des promesses non tenues des candidats aux élections présidentielles refirent surface. C'était prévisible qu'après l'obtention des votes, ils nous oublieraient. Il était même facile de deviner que le prochain menteur arriverait tout autant à séduire la population de ce village. Ces villageois ignorants qui détestaient mon envie de me cultiver, ne comprenaient rien. Le méchant achetait leur conscience et les dominait parce qu'ils n'avaient aucune envie pour la connaissance. Si Le savoir est une arme, l'ignorance est sa proie.
« Jolivia », une voix m'interpella.
J'étais enfin arrivée chez Jean-Charles. La voisine était assise, toute souriante, et je montais la passade pour aller vers elle.
La poussière s'accrochait à ses ongles de pieds soigneusement coupés. La bassine bleue entre ses jambes était pleine de linges qu'elle brossait avec assiduité. Sa peau jaune en devenait rouge. De son souffle bref sorti un : « Coucou, ma fille. » Ses seins s'agitaient avec la peau tombante de ses bras. « Comment tu vas ? »
Un murmure traversa l'air. « Bonjour, tante Marion. » Aucune émotion claire face à cette scène. Elle était si belle. Était-ce comme cela qu'Esméralda allait vieillir ? Je me demandais, tant la similarité physique était palpable.
À chacune de mes visites, tante Marion était toujours occupée par une tâche qui n'avait pas pitié de sa prise d'âge. Elle avait pourtant des filles, mais ces dernières semblaient plus aimées défiler avec des hommes dans les rues que remplir les tâches ménagères.
Mon observation silencieuse l'intrigua rapidement. « Qu'y a-t-il ? » Ses lèvres pulpeuses, roses, avaient l'air si douces. Comment est-ce que son mari pouvait courir autant après des lycéennes lorsqu'il avait une perle de cette couleur ?
Je me sentais mal pour elle. « Je vais bien. Comment vont Jeanine et Pascale ? » Les mains sur les hanches, mes oreilles s'ouvrirent pour entendre les derniers ragots.
Un long pénible : « Hummm » Sortit de sa gorge. « Jolivia, elles sont dans leurs ballades habituelles. Ces filles ne sont bonnes à rien. Heureusement que Shujaa et Jean-Charles m'aident dans mon quotidien. » Elle se pencha nerveusement, attisant encore plus mon attention. « Au fait... depuis que Shujaa a voyagé, tu n'as pas remis les pieds ici. Tu lui avais pourtant promis de venir plus souvent pour aider Jean-Charles à travailler le bois. » Ses mots résonnaient comme un jugement. Une fissure se traça sur ma poitrine et les battements assourdissant de mon cœur me donnèrent le tournis.
Finalement, mes promesses non plus ne valaient rien. Mais la vie ne me laissait pas le choix d'être une personne fiable. « La santé de grand-mère a empiré. Je devais aider les parents à s'occuper d'elle. » Je plissai les yeux, attendri par cette scène, malgré ses mots tranchants. Tante Marion ne voulait que mon bien et celui des garçons. Elle aimait nous observer sans rien dire et des fois, nous préparait même des en-cas.
Elle lâcha le caleçon dans ses mains, surement celui de son plus jeune fils de trois ans, Lilian. « Oh non ! Je n'en savais rien. » Un splash d'eau mouilla le creux de son œil, mais malgré la possible douleur du savon, elle ne le cligna pas. Il devint rouge tout à coup. « J'espère qu'elle se rétablira très vite. C'est ce qui te rend pâle, n'est-ce pas ? Comment fais-tu pour te changer les idées ? Ça doit être pénible. » Appuyée sur ses genoux, elle se leva, essuya ses mains sur son kaba, gratta enfin son œil et une hésitation de m'approcher se lu sur son pas rétracté.
« Je ne fais que lire... ça me fait perdre la notion du temps et de tout ce qui se passe. » Une odeur aigre se dégagea des bulles blanches qui décoraient ses mains. « Tu as mis quoi dans cette eau ? » Mon visage se déforma.
« Du vinaigre. Ça enlève n'importe quelle tâche. » Elle répliqua. « Tu travailles tellement dur pour devenir une femme cultivée. Dieu te bénira. Je sais que tu iras très loin dans la vie et je suis sûre que tes parents te choisiront une université spéciale. Shujaa sera encore plus fou de toi. »
Ces paroles bousculèrent mon cœur. Toutefois, je m'efforçais à montrer un sourire. « Amen. » Je répondis à des bénédictions qui me paraissaient impossibles à obtenir.
Je tournai ensuite le dos, ouvris ma main et fixai le billet que je tenais.
Je m'en voulais tant. Pourquoi est-ce que ma vente de gâteau ne m'avait pas apporté assez pour oser imaginer une meilleure vie ?
J'avais de très grands rêves. Pas forcément de m'en aller loin de ma terre natale. Mais plutôt d'avoir la liberté de tomber amoureuse et de me marier à l'homme de mon choix.
Mes amis, dont Jean-Charles, étaient des cordes sur lesquelles je m'accrochais pour poursuivre mes objectifs. Leurs mots m'encourageaient toujours. L'espoir de le revoir, de trouver du réconfort dans ses paroles me remonta un peu le moral.