Il me prit dans ses bras. « Je t'en prie, ne m'en veut pas. » Puis enveloppa ma tête entre ses mains. « Aussi, la raison pour laquelle je t'évitais, c'est parce que je ne voulais pas que ces imbéciles te ridiculisent devant moi. Et à vrai dire, si je m'opposais à eux, je sais que ça allait créer des conflits entre moi et Olaf. »
« Elle ne mérite plus ce nom. » Dis-je fermement. « Plus on parle d'elle, plus la mention de son nom nous fait souffrir, alors... évitons cela pour l'instant. » Je proposais, observant ses lèvres entrouvertes qui suggéraient qu'il avait plus à dire. Toutefois, il murmura : « Tu as peut-être raison. Nous reprendrons cette conversation lorsque la mention de son nom ne sera plus qu'un souvenir au lieu d'un coup de couteau dans le ventre. »
« Tu as tout compris ! » Un léger sourire, teinté de tristesse, étira mes lèvres. Le poids de nos aveux planait encore entre nous, mais un fragile espoir de guérison commençait à poindre. Je posai mes doigts sur son oreille, un frisson me traversa la peau et mes poils se levèrent. « Je dois aller au marché. Papa m'a envoyé. On se voit plus tard d'accord ? » Les épaules et le dos recourbés, je soufflai, laissant sortir toute ma frustration. « Je vais aussi profiter à acheter un présent pour Aminata. »
« Ah, c'est vrai ! » Il se gratta le crâne. « Son mariage est dans quelques jours. » Jean-Charles se tourna, marcha avec rapidité vers la porte de la maison, le vent attrapant son parfum. « Laisses moi prendre un peu d'argent. Je t'accompagne. »
Je rigolais en le regardant s'éloigner. Que ces moments m'avaient manqués.
Par sa démarche bancale, il était facile de deviner qu'il y avait toujours un joug lourd sur ses épaules, tout comme sur les miens d'ailleurs. La douleur ne pouvait pas s'en aller en un jour, et même une conversation libératrice ne pouvait pas nous faire tourner la page facilement. Cela allait prendre du temps. Il n'y avait pas qu'une relation qui avait été affectée. Il y en avait trois, dont la mienne avec Jean-Charles. « Pouf... » un son sépara mes lèvres en deux.
Je regardais les maisons en bois autour de moi. Tout semblait reprendre vie, mais rien ne semblait redevenir comme avant.
Jean-Charles réapparut et nous prîmes chemin.
Nous parlions pendant de longues minutes, et empruntions un raccourci pour ne pas avoir à repasser devant chez moi. Des terrains inexploités croisaient nos yeux, nous rappelant l'injustice de la justice qui avaient vendu des terres à des personnalités riches. Elles étaient aujourd'hui abandonnées, mais tous les habitants qui avaient tenté de les exploiter avaient reçu des coups.
Une vingtaine de minutes passaient quand finalement, nous vîmes en face de la route des marchands.
Nous regardions à gauche et à droites avant de traverser la route. Une foule de personnes qui achetaient divers articles se frôlaient à nous, pendant que Jean-Charles me serrait ardemment la main. Je me sentais en sécurité au point même de bousculer des gabarits imposants pour créer un chemin.
« Ma fille, vient faire la recette à ta mère aujourd'hui. » Pouvais-je entendre d'un côté, lorsque de l'autre, des voix masculines hurlaient. « Ma chérie, tu es jolie hein. » Mais je restais concentrée.
Nos silhouettes se faufilèrent dans la foule pour arriver à un point où commençaient les magasins et s'arrêtaient les vendeurs sur table.
La rue était plus libre, ainsi Jean-Charles et moi relâchions nos mains pour les laisser respirer sous ce temps chaud.
Nous entrions chez le mauritanien habituel. Son large sourire à notre arrivée contrastait avec le malaise que ses dents mal entretenues et sa peau blanche écailleuse provoquaient en moi. Une nausée me serrait l'estomac à chaque fois que je le voyais, son visage s'immisçant parfois même dans mes pensées pendant les repas. Pourtant, j'étais obligée d'acheter chez lui, car ses cadeaux et ses rabais étaient conséquents. Ma famille disposait en plus d'un cahier de dettes chez lui, et cela allait être défavorable sur le temps d'en entretenir chez plusieurs commerçants différents.