Chapter 6

1857 Words
  Je ne me suis même pas souvenue comment j'étais sortie de cette maison. Une seule conclusion, nette et tranchante, a résonné dans ma tête—je ne devais pas être leur fille. Et je devais découvrir la vérité. C'a été la seule explication à laquelle j'ai pu m'accrocher—sinon, comment aurais-je pu vivre avec l'idée que mes propres parents pouvaient être aussi cruels ?   Dès que je suis rentrée dans mon appartement, je me suis effondrée sur le lit. Je n'ai pas bougé jusqu'à ce que mon téléphone se soit mis à sonner. C'a été Yvaine. Je n'ai pas attendu qu'elle me pose des questions—j'ai tout déballé sur ce que mes parents avaient fait. Et, oui... Je lui ai aussi parlé de cette aventure d'un soir. J'ai omis la demande en mariage.   Yvaine a poussé un cri si aigu qu'il aurait pu briser du verre et tuer toutes les plantes de mon appartement.   "Attends... t'as couché avec quelqu'un et t'as même pas lancé un FaceTime en live ?! J'suis choquée. "   J'ai passé le téléphone en haut-parleur et l'ai jeté sur le canapé, me laissant tomber dans les coussins, les yeux fermés.   Sa voix a continué de crépiter comme un feu d'artifice : "C'est qui, ce mec ? Il sort d'un royaume mythologique ou quoi ?! Attends... tu veux dire que t'as ENFIN tourné la page avec Rhys ? Me dis pas... il est carrément sculpté, genre façon Michel-Ange, c'est ça ? ."   Elle a marqué une pause. J'ai pu l'imaginer assise sur son canapé, enveloppée dans une couverture, faisant ce geste théâtral emblématique.   "Une baguette aux proportions inhumaines ?"   "Tu es... tellement. Incroyablement. Ennuyeuse," ai-je grogné, en traînant un oreiller sur mon visage.   "T'es en train d'éviter le sujet," a-t-elle répliqué immédiatement.   Oui. Oui, c'a été vrai.   Je n'avais jamais rien caché à Yvaine. Pas même les parties les plus sombres de mon histoire. Pas même... la nuit dernière.   J'ai couché avec un homme dont je ne me suis même plus souvenue du nom de famille. Juste pour me débarrasser de l'empreinte de Rhys sur ma peau–pour une minute, une heure, une nuit–tout ce qu'il a fallu pour me sentir libre à nouveau.   Est-ce que ça a été libérateur ? Non.   Ça a été de la vengeance, une fuite, et un cocktail de ces deux sentiments avec une pincée de culpabilité.   Mais Yvaine n'a pas été là pour me juger. Elle a été là pour apaiser les flammes–même si ce n'a été qu'à travers le petit haut-parleur de ma salle de séjour.   "Au moins, dis-moi ça," a-t-elle dit soudain, sa voix devenant plus douce, plus basse.   "Il a été mignon ? Genre, tu fermes les yeux et tu vois encore son allure séduisante ?"   "Mignon," ai-je marmonné dans l'oreiller.   "Et quand il t'a touchée... est-ce que tu as senti qu'il savait que tu étais quelque chose de rare ? Comme si tu étais une édition limitée faite juste pour lui ?"   J'ai serré la mâchoire. Je n'ai pas répondu.   "Mon dieu," a-t-elle soufflé.   "T'as vraiment couché avec quelqu'un qui en valait la peine."   J'ai gardé les yeux fermés, et pour une raison quelconque, cette phrase a semblé refermer doucement la plaie dans ma poitrine.   Les voix de mes parents ont encore résonné dans ma tête—aiguës, étouffantes, comme du pain brûlé dont on ne peut se débarrasser.   La manière dont ils m'ont rejetée—si clinique, si posée. Comme s'ils avaient jeté un biberon devenu inutile.   "Mira," sa voix a changé de nouveau, plus calme, plus ferme.   "Tu peux tout faire. Te tromper, craquer, aimer la mauvaise personne—tout est permis. Mais tu ne peux plus porter tout ça toute seule."   Je n'ai rien dit.   J'ai simplement ramené mes genoux contre ma poitrine et y ai enfoui mon visage.   "Je suis là," a-t-elle chuchoté.   "Partout où tu vas. Quoi que tu fasses. Je suis là."   Je n'ai pas pleuré.   Je te jure que non.   J'ai serré les mâchoires, j'ai fermé les yeux encore plus fort et j'ai ravalé mes mots de remerciement comme une pilule de travers. J'ai jeté un coup d'œil à l'heure. Il fallait que j'aille travailler. Maintenant que mes parents avaient bien montré que j'étais interchangeable, je ne pouvais pas me permettre de rater mon travail. Bien sûr, ils croyaient que je travaillais comme barista. Ils m'avaient interdit de travailler dans une entreprise. Pour eux, une fois mariée, je devais rester à la maison à plein temps—être la parfaite petite femme au foyer. Je ne leur avais donc jamais dit ce que je faisais réellement.   En traînant mon corps épuisé hors de l'appartement, je me suis dirigée vers Ground & Pound—mon lieu de travail. Le nom ? Choisi parce que le propriétaire pensait qu'il n'avait aucun potentiel de marque réel. Était-ce un café branché ? Une salle de gym MMA clandestine ? Qui savait ? Qui s'en souciait ? Mais c'était correct. Stable. Et pour l'instant, sûr. Enfin... jusqu'à ce que ça ne le soit plus.   "Mira."   Mon patron, Benny, m'a accueillie comme si j'étais son officier de probation : nerveux, en sueur, probablement à deux doigts de se faire dessus.   Il était dans la quarantaine, portait un chignon qui ne rendait pas justice à sa calvitie, et ses bras étaient couverts de tatouages qu'on pourrait qualifier de regrettables—y compris un montrant une chèvre portant des lunettes de soleil.   "Tu n'as pas besoin d'être là aujourd'hui. J'allais justement t'appeler..." Il a fixé le sol. "Tu n'es plus sur le planning."   Pardon ?   "Tu as été... licenciée. Je suis vraiment désolé. Je ne voulais pas, mais... j'ai reçu un appel. De ta mère."   Mon estomac s'est noué.   "Elle a menacé de nous dénoncer, elle a dit qu'elle ferait révoquer notre licence si je ne te virais pas." Benny continuait de fixer le sol. "Je suis désolé. Je ne pouvais rien faire."   "Elle dirige une entreprise de soins de luxe, Benny. Pas le fichu FBI."   Il a haussé les épaules, impuissant. "Elle a dit qu'elle nous dénoncerait pour des violations du code de santé. Et tu sais qu'elle a des relations. Elle pourrait vraiment y arriver."   J'ai pris une profonde inspiration. Crier sur Benny ne servirait à rien. Ce n'était pas de sa faute.   Avant de faire quelque chose de stupide—comme lancer une cruche de lait par la fenêtre—je suis partie en trombe.   Je n'aimais pas ce job. Être barista n'était qu'un boulot d'appoint. Ce qui payait vraiment les factures—ce que personne ne savait à part Yvaine—c'était mon design de bijoux.   Depuis que j'étais enfant, ma mère m'avait dit que j'étais moyenne. Ordinaire. Sans talent. Chaque fois que j'essayais de briller, elle me ramenait dans son ombre.   Finalement, j'ai appris à obéir. J'ai enterré mon ambition, j'ai porté des plumes grises comme un paon prétendant être un pigeon.   Donc non, perdre mon emploi au café ne m'a pas importé. Ce qui m'a mise hors de moi, ce n'était pas le chômage. C'était ça—ce coup de force—que c'était elle. Son empreinte était partout. C'était sa punition. Une réponse à ma tentative d'échapper à Rhys. D'échapper à elle. Elle m'envoyait un message : Tu ne peux pas t'enfuir. Je peux détruire le moindre petit bout de fierté que tu penses avoir gagné—d'un seul geste.   Si elle pensait que j'allais revenir ramper, comme avant, suppliant pour son approbation...   Elle pouvait aller au diable !   Je n'étais plus sa marionnette. J'en avais eu assez de jouer à la gentille fille.   Trente minutes plus tard, j'ai ouvert d'un coup la porte du manoir des Vance. Pas la peine de frapper. Je m'en fichais. J'étais prête à entamer le deuxième round de notre guerre familiale.   Mais ce que j'ai découvert a été bien pire encore.   Mes parents étaient installés sur le canapé en ivoire du salon, savourant un vin dont le prix aurait dépassé mon loyer, riant—riant—avec un homme que je ne connaissais pas.   La scène était parfaite. On aurait dit qu'ils sortaient tout droit du manuel sur "Comment organiser le dîner parfait en banlieue chic".   L'homme avait eu l'air d'une version édulcorée et gluante d'un magnat des années 1950—peut-être quelqu'un qui avait fait un séjour en prison pour cols blancs et en était ressorti avec un tailleur sur mesure.   Costume sur mesure. La chemise déboutonnée jusqu'au milieu de la poitrine, dévoilant une touffe de poils qui ressemblait à une couronne de Noël fraîchement taillée.   Ses dents étaient trop blanches, son sourire trop aseptisé—comme le visage de la cupidité recouvert de vernis.   "Chérie," a susurré ma mère, douce comme du miel, "viens rencontrer Monsieur Leonard Shaw, PDG de Alcott Shipping. Un véritable autodidacte. Tu as tant à apprendre de lui—comment transformer un talent brut en vrai succès."   L'impact a été comme un marteau parfumé en pleine figure.   Leonard arborait un large sourire. Ses yeux—non, ses yeux se sont glissés directement sous ma jupe.   "Enchanté de vous rencontrer, Mademoiselle Vance," a-t-il dit. "J'espère que nous pourrons discuter davantage. J'aime toujours encadrer les jeunes femmes. Surtout les intelligentes et belles comme vous."   Je n'ai même pas pris la peine de cacher mon expression.   Ce n'était pas du dégoût. C'était de la nausée.   Il était quasiment en train de se lécher les lèvres.   Je pouvais presque entendre la b***e-son de Proposition indécente résonner dans sa tête.   "Mira," m'a avertie ma mère d'un ton mièvre quand elle se fait menaçante, "ne sois pas impolie. Salue Monsieur Shaw comme il se doit."   Je n'ai pas bougé. Je n'ai même pas cillé.   Si quelqu'un m'avait lancé un raton laveur à ce moment-là, je l'aurais serré dans mes bras plutôt que de toucher la main de Leonard.   Le rire de Caroline a retenti, aigu et fragile, comme si elle essayait de masquer ma réticence.   "Les jeunes sont si sensibles de nos jours, n'est-ce pas ?" a-t-elle dit à Leonard, d'un ton bien rodé pour signifier qu'elle reviendrait à la charge.   Leonard a simplement haussé les épaules.   "J'aime une fille avec un peu de caractère."   Ouais, et moi j'aime les dentistes qui n'ont pas besoin de pinces. On ne peut pas tous avoir ce qu'on veut.   Et mon père—le même homme qui, il y a à peine quelques jours, m'avait dit "on a déjà tout prévu"—hochait maintenant la tête en direction de Leonard comme un concierge d'hôtel espérant un bon pourboire.   C'est là que j'ai compris.   Ce n'était pas une introduction.   Ça a été une présentation.   J'étais le produit exposé ce soir.   Ce n'était pas une question de rencontrer un "homme célibataire prometteur".   C'était une vente. J'étais commercialisée comme un paquet financier avec un cadeau bonus.   Quand Leonard est finalement parti—laissant derrière lui un nuage de parfum et une traînée de malaise—je me suis tournée vers eux.   "Qu'est-ce que c'était que ça ?"   Ma mère a levé son verre de vin, a pris une gorgée lente et triomphante.   "Ça," a-t-elle dit avec un sourire, "c'était ton futur mari."
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