Prologue
Palais de Montéry, Targat
Une main tremblante posée sur le châle qui recouvrait son cou et ses épaules, Anisha était tiraillée entre la terreur et la haine.
Dans cette immense salle aux piliers impressionnants et au trône imposant, elle attendait.
C’était dans ce haut lieu que toutes les décisions importantes du royaume étaient prises, et c’était là aussi qu’on allait statuer sur son misérable sort.
Elle paraissait si petite, si insignifiante, drapée dans son long chiton blanc, vêtement typique de son île.
Les deux gardes qui l’avaient escortée jusque-là, s’étaient écartés d’elle pour la laisser affronter son destin, seule.
Ses grands yeux ambrés s’écarquillèrent d’effroi dès que le bruit tonitruant des deux magistrales portes derrière elle se fit entendre.
« La cour ! » annonça solennellement le héraut, posté non loin d’elle, et qui tenait un grand drapeau avec les armoiries de la dynastie d'Orburg.
Des pas assurés et lourds battirent le sol dallé de marbre blanc.
Des pas qui rapprochaient un peu plus Anisha de l’homme qu’elle haïssait le plus au monde.
Celui qu’elle aurait voulu tuer de ses mains si l’opportunité lui en était donnée.
Son sang en ébullition dans ses veines faisait battre son cœur à un rythme effréné.
Le moment de vérité était arrivé et son incapacité à se donner la mort plus tôt lui pesa comme jamais à cet instant.
Anisha l’aurait pourtant voulu.
Elle aurait préféré mille morts que de devoir s’agenouiller devant le tyran qui allait bientôt lui faire face.
Devant cet assassin sans cœur et à l’âme noire.
Discrètement, elle balaya les environs des yeux pour voir si elle ne pouvait pas déposséder un garde de son épée. Avec, elle aurait pu transpercer le cœur de ce monstre.
À son grand regret, personne n’était assez proche et tous les hommes présents gardaient une main ferme sur le pommeau de leur arme.
Son souffle se raccourcit aussitôt.
Les pas venaient de s’arrêter juste derrière elle.
Sans même se retourner, Anisha pouvait sentir une présence puissante la dominer de sa hauteur.
Aujourd’hui, le destin allait juger de son avenir.
Et elle le savait, la grâce de la mort était exclue pour elle.
Le sort de la veuve d’un prince défait appartenait à celui qui avait occis ce dernier.
> Ici, il s’agissait de Helias, le roi le plus cruel et le plus sanguinaire que le royaume de Targat n’ait jamais porté.
Loin d’être un souverain qui avait grandi dans le confort et les soieries, Helias D’Orburg était né un glaive à la main.
Depuis sa tendre enfance, on le disait rompu aux techniques de combat et expert en stratégies de guerre. Un vétéran, entouré d'une armée cruelle, prête à le suivre dans la mort et même dans les enfers s'il le leur demandait.
> Anisha gardait la tête baissée et sa longue chevelure noire se rabattait en partie sur son visage pour le dissimuler.
Les pas reprirent et continuèrent vers l’estrade où se trouvait un énorme fauteuil doré et matelassé d’une étoffe riche et fleurie.
« Prosterne-toi devant ton roi ! » ordonna un homme, sûrement un garde qui accompagnait le souverain, et qui se tenait toujours derrière la jeune femme.
Les jambes d'Anisha s’entrechoquèrent de peur, mais son cœur lui interdisait de céder.
En guise de protestation, elle garda les yeux rivés sur les grandes fenêtres qui longeaient toute la longueur d’un mur et qui donnaient sur une cour majestueuse.
« Es-tu sourde ?! » fit l’homme qui la saisit aussitôt par l’épaule pour la forcer à poser les genoux à terre.
Les larmes d’Anisha menaçaient de couler, mais elle se mordit fortement la lèvre. La poigne de fer qui lui saisissait les chairs lui donna un avant-goût de ce qui l'attendait dorénavant.
Mortifiée, elle sentit le regard d'Helias se promener sur elle, comme on sent la brise ou les rayons chauds du soleil sur sa peau.
Seulement là, la sensation était mordante comme la glace et son intensité brûlante comme le feu.
« Ne te fatigue pas, Callen, » s'éleva une voix calme et si grave qu’elle fit vibrer quelque chose en Anisha tout en lui semblant étrangement familière. « Cette renégate est comme son traître de mari : la déloyauté coule dans leurs veines. »
Un froissement et du métal tinta : Helias venait de se lever de sa place et il revenait vers elle.
Tout son corps se mit à trembler à cet instant. Ses mains devinrent moites et son cœur menaçait de bondir hors de sa poitrine.
Si on ne la maintenait pas toujours au sol, elle se serait machinalement enfuie.
Et alors qu’elle se serait attendue à être malmenée, le souverain se baissa à sa hauteur et releva son menton de sa grande main rugueuse.
Il l’examina un instant, tandis qu’Anisha tentait de garder un semblant de contenance.
Helias avait la beauté des diables et son corps immensément puissant la fit frissonner de peur. Elle comprit mieux comment son mari avait pu être défait.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Cet homme était bâti pour le combat et ses mains impressionnantes auraient pu broyer un cou sans la moindre peine.
« C’est donc à cela que ressemble la femme de mon cousin ? » continua d'Orburg de cette même voix calme et envoûtante. « On m’a rapporté que tu as tenté de t’ôter la vie à deux reprises depuis que tu es là. C’est un signe de faiblesse et de lâcheté. Le sais-tu ? Serais-tu comme ce pleutre de Clarence ? »
« Clarence n’est pas un lâche, » siffla de rage la jeune femme tandis qu’il lui tenait toujours le visage.
> Cet éclair de vaillance fit sourire le souverain, tant il était vain.
« Si tu le dis. En attendant, tu m’appartiens et je décide en ce jour de faire de toi ma servante. »
Anisha écarquilla des yeux horrifiés.
« Je suis sûr que mon cousin appréciera ta nouvelle fonction de là où il est. Et peut-être que les turpitudes qu’il vivra en te voyant retrouver ta condition d’indigente le pousseront à renaître plus courageux et plus loyal. »
« Autant me tuer sur le champ, car je ne vous servirai jamais, » lâcha Anisha en dégageant son menton.
Les yeux gris orage d’Helias brillèrent à ces mots.
« Oh que si, tu me serviras. Et de la plus dévouée des manières. Si tu ne le fais pas, ce sont toutes les filles de ton île qui seront emmenées comme tribut de guerre et distribuées telles de vulgaires esclaves à mes hommes. »
Anisha déglutit avec peine devant ce cruel personnage.
Helias était donc à la hauteur de la réputation que lui avait dépeinte Clarence…