« Comment j’en suis arrivée là ? Se fustigea intérieurement Lucia tout en se battant avec la fermeture éclair de sa robe. »
Après mille contorsions, elle réussit à s’habiller. Juste à temps pour l’arrivée de la maquilleuse qui frappait déjà à la porte.
- Une seconde ! Lança la jeune femme en écartant du pied les chaussures qui se trouvaient sur son chemin et qui l’avaient fait trébucher. Ça commence bien…
En ouvrant la porte de sa chambre, elle eut la surprise de voir Aldo, l’assistant de longue date de Don Marco et dont elle avait un vague souvenir. Elle l’interrogea du regard.
Il lui montra un grand écrin de velours bleu roi et dit :
- Votre grand-père vous envoie cette parure pour compléter votre toilette. Il espère qu’elle vous plaira.
- Ce n’est pas nécessaire, fit-elle un peu mal à l’aise. La robe est déjà très chargée.
En réalité, la tenue choisie n’avait rien d’ostentatoire ou trop déluré, une mousseline vaporeuse de couleur jade qui couvrait bien le buste et de longueur sobre. Le seul détail un peu voyant était la fine ceinture dorée qui soulignait sa taille et mettait en valeur ses hanches développées.
Pour la jeune femme qui n’avait jamais mis autre chose que des pullovers et des jeans, c’était déjà beaucoup.
- Votre grand-père à beaucoup de goût, et croyez-moi ces bijoux s’accorderont à merveille avec votre tenue. Vous serez resplendissante, j’en suis sûr.
« Resplendissante ? Se répéta-t-elle intérieurement. Ce pauvre Aldo a sacrément besoin de lunettes. »
Lucia avait conscience qu’elle n’était pas une beauté. A vingt-deux ans, elle n’avait jamais eu de relations amoureuses, et personne ne s’était vraiment intéressé à elle.
Bien que dans cette tenue elle avait l’air plus femme, on était loin des critères, dit, de beauté. Ce rendez-vous galant allait vite être expédié et l’homme qu’elle allait rencontrer, à la demande de son grand-père, n’allait sûrement pas donner suite. Enfin, elle l’espérait. Ainsi, elle ne serait pas la seule à refuser.
Si seulement elle ne s’était pas laissé émouvoir, elle n’aurait pas accepté de rencontrer un homme qu’elle ne connaissait pas.
Elle ne se souvient même plus de comment Don Marco lui avait amené les choses. Elle se rappelle juste que c’était une semaine après leur retrouvaille…
Des retrouvailles d’une très grande émotion, où Lucia put enfin découvrir les raisons qui avaient poussé son aïeul à couper les liens avec elle.
« J’aurais préféré te donner une autre raison pour ne pas te blesser, lui avait-il confié de sa voix faiblarde, mais c’est Felicia qui a refusé que je te vois durant toutes ces années. Je ne lui en veut pas et je pense qu’elle a fait ce qui lui semblait juste… »
En entendant cela, elle n’en avait pas cru ses oreilles et s’en était prise à son grand-père pour ce qu’il avait osé dire. Seulement, à mesure qu’il lui détaillait les différends qu’il avait eu avec sa mère au sujet de son père, elle comprit mieux.
Des lettres que l’homme lui avait adressées et qui avaient été renvoyées sans être décachetées, venaient corroborer ses dires.
Jamais sa mère ne lui avait dit que son grand-père avait tenté de la contacter. Même si elle comprenait les raisons qui l’avaient poussé à agir ainsi, Lucia se sentit triste et coupable. Coupable d’avoir eu des mots rudes envers le vieil homme, de lui avoir balancé tout un tas de reproches et de critiques alors qu’il n’y était pour rien.
- Je vous les dépose sur la table ? Demanda Aldo qui était entré tandis qu’elle rêvassait
- Heu… Oui là, ça ira…
Une fois seule, elle se saisit de la boîte et l’ouvrit délicatement. Un collier orné d’un camée et une paire de boucles assorties, étaient disposés délicatement sur le coussin satiné blanc.
Une merveille comme Lucia n’en avait jamais vu auparavant, et qui semblait avoir traversé les époques juste pour ce moment. Du bout des doigts, elle effleura les bijoux :
- Est-ce que je peux vraiment mettre ça ? Se demanda-t-elle à voix basse.
La beauté du bijoux semblait l’hypnotiser et même si elle ne voulait pas s’apprêter plus que ça, elle céda devant la magnifique parure.
- Vous êtes ravissante, fit Aldo en passant la chercher une heure plus tard pour la mener au restaurant de l’hôtel. Et le camée vous va à merveille.
- Merci, rougit la jeune femme qui n’avait ni l’habitude de s’apprêter, ni d’être complimentée, Mais tout le mérite revient à la maquilleuse. Et puis, la parure aide beaucoup, elle est splendide.
- Vous avez remarqué ? Fit-il avec malice. Mais ce que vous ne savez pas, chuchota-t-il, c’est que ce camée est gravé sur du diamant.
- Sur du diamant ? Je ne pensais même pas que c’était possible. En même temps, à part mes boucles d’oreilles en zirconium, je n’ai jamais…
Elle arrêta là sa phrase. Elle n’avait aucune envie de passer pour une misérable. Et puis sa mère n’avait peut-être pas eu de sous, mais elle lui avait donné beaucoup d’amour.
La salle de restaurant était pleine, et c’est vers un salon privé, qu’Aldo mena Lucia avant de l’abandonner à son sort.
- Je vous souhaite un bon appétit mademoiselle.
- Merci Aldo, fit la jeune femme avec une moue renfrognée, mais j’ai pas l’estomac à la fête, là tout de suite.
- Ça va bien se passer, ne vous inquiétez pas. Et puis, Vinny est un gentleman, vous verrez.
- Puisses-tu dire vrai…
Vinny, le diminutif de Vincenzo supposa-t-elle sans trop de certitude. Son cœur battait la chamade et ses mains devenaient moites, à croire qu’elle se rendait à un véritable rencard. C’était ridicule.
- Aller respirer, se reprit-elle. C’est juste histoire d’une petite heure, après quoi, tu seras libre.
Rencontrer l’héritier d’une famille, avec laquelle son grand-père avait de bonnes relations, en vue d’un potentiel mariage, n’était pas une sinécure. Lucia avait pourtant refusé catégoriquement au début, mais quand son grand-père la pria d’accepter au moins une entrevue, elle n’eut pas le cœur de lui dire non.
Elle inspira profondément, puis elle poussa la porte double du salon privé.
« Qu’est-ce que c’est que cette farce ? Se demanda intérieurement la jeune femme en arrivant dans la magnifique pièce aux moulures dorées. »
Elle s’immobilisa, le regard complètement perdu tandis que l’homme, qui était installé à table, se leva pour l’accueillir.
C’était Caruso. Plus beau et plus intimidant que les fois précédentes. Son costume décontracté, veste-T-shirt moulant, mettait en valeur un torse racé et un ventre plat. Ses cheveux noirs plaqués en arrière et son teint hâlé faisaient ressortir son regard de givre.
- Ne me dites pas que vous cumulez le boulot de serveuse en plus de celui de contractuelle ? Fit-il avec sarcasme et étonnement. Puis en s’approchant d’elle. Hm, à voir votre tenue, vous n’êtes pas dans ce restaurant en tant qu’extra…
- Euh… c’est-à-dire que je…, bredouilla-t-elle en faisant face au regard narquois de ce type. Excusez-moi, mais je ferais mieux de m’en aller...
- Attendez.
Lucia, qui avait tourné les talons, se figea instantanément.
- Vous êtes bien mademoiselle Vittorini ? Puis une fois elle hocha la tête. Vous et moi, sommes ici à la demande de nos aïeux, déclara Caruso en enfonçant ses mains dans ses poches, alors prenons au moins le temps de discuter de la situation.
- Quelle situation ?
- Disons que votre grand-père et le mien espèrent nous voir finir ensemble pour des raisons qui n’ont rien de sentimentales, mais plutôt pour faciliter nos affaires respectives…
La jeune femme ne comprit pas où il voulait en venir et arbora une moue ennuyée.
- L’idée ne me plaît guère plus qu’à vous, précisa-t-il en soupirant. Seulement, nos familles ont toutes deux un intérêt dans cette union, qui soit dit en passant, n’a pas besoin de durer dans le temps. Une année tout au plus. Compte tenu de cela, nous pourrions être en mesure de trouver un arrangement.
Les yeux ronds de Lucia obligèrent Vincenzo à préciser :
- Bien sûr, notre mariage sera factice et nous continuerons de vivre nos vies chacun de notre côté…