J'ai fini par tout lui raconter, évitant bien-sûr son regard; je lui confie tout.
Quand j'arrive à la fin de mon récit, j'ose enfin scruter son visage.
— Mais depuis deux semaines, je n'ai plus eu de nouvelles. Il a dû se lasser de moi .
Elle ne dit rien.
— En tout cas, je comprendrai si tu ne me croyais pas.
Soudain, ses mains sont portées à sa bouche.
"Me croit-elle ?"
— Mon Dieu ! Alors.... Alors.... dit elle toute tremblante.
"Que veut elle dire?"
— Alors, toi aussi ?
"Comment ça, moi aussi ? Était elle aussi une victime de Mr L'inconnu ?"
— Je ne comprends pas. Comment ça, moi aussi ? Ça t'ai déjà arrivé ?
Elle baisse la tête et je vois une larme rouler sur sa joue gauche. Ses poings son serrés.
Je pose ma main sur son épaule, ce qui lui fait poser son regard sur moi. Je peux aisément ressentir la douleur qui la traverse.
"Elle a dû souffrir bien plus que moi".
— Tout ça avait débuté il y trois mois , commence t-elle. C'était un jeudi tranquille comme toujours . Il faisait beau et j'étais heureuse car le lendemain, c'était mon anniversaire. Quel ironie du sort hein?
Elle rit jaune. J'ai de la peine pour elle.
— J'ai reçu le coup de fil ce matin là. Au début, j'avais cru qu'il s'agissait d'une blague et m'étais prise au jeu. Je ne sais toujours pas par quel miracle j'ai pû arriver à temps sur les lieux. Je me rappelle encore de la devinette et de cette voix étouffée me dire "Je m'étale le long de la baie. Avec leurs ailes blanches comme la neige, mes oiseaux me décorent. Tu as une heure."
Elle s'arrête. Parler de tout ça doit être douloureux pour elle. Je m'apprête à lui demander de ne pas continuer si cela la dérange mais, elle continue .
— J'avais tout de suite compris qu'il s'agissait du lac des signes . Tu sais ? Ce lac artificiel créé pour embellir le parc de Pandora.
Je hoche la tête comme si je connais l'endroit dont elle parle. En vérité, ce lac des signes m'est inconnu.
"Les endroits qui n'ont pas de secrets pour moi sont les supermarchés , les épiceries et les bars où j'achète mes boissons."
— J'avais crû que mes amis me préparais une surprise alors , après avoir dit à mes parents que je devais rejoindre mes amis , j'avais pris un taxi pour arriver à l'heure car le trajet de chez moi jusqu'au parc me prendrait quarante cinq minutes en voiture. J'étais toute excitée.
Allena rit une nouvelle fois et je ne peux que avoir de la peine pour elle.
— Quand je suis arrivé sur les lieux, le parc était fermé pour des travaux . Je ne comprenais pas et pensais m'être fait avoir quand je découvris un petit mot collé à un arbre qui me disait que je pouvais entrer et qu'une surprise m'attendais près du lac. J'y étais allée , trépignante d'impatience. J'étais toute joyeuse quand je suis parvenue au lac. Le vent était doux, l'air était pur et l'étendu d'eau était scintillant. Je m'étais mise à observer le spectacle qui s'offrait à mes yeux. Les signes , de leur couleurs blanches immatriculée se déplaçaient avec grâce tel des dames à la cour. J'étais émerveillée . Soudain , j'avais remarqué une jeune femme de l'autre côté de la rive. Elle s'était accroupie près de l'eau . Je n'avais pas tout de suite compris ce qu'elle faisait . Je m'étais rapprochée pour lui parler vu que nous étions Les seules sur les lieux. Naïvement, je croyais qu'elle faisait partie des personnes qui organisaient la surprise.
Elle s'arrête un instant et lâche de l'air par sa boucher. C'est comme si elle a voulu reprendre son souffle après un marathon. Je la suis, attendant patiemment qu'elle reprenne son récit.
— Tu sais ce qu'elle faisait?
Je tourne la tête de gauche à droite.
— Elle noyait un bébé ; son bébé.
J'étais choqué. Je ne savais pas quoi dire.
"Une femme qui noie un bébé ? C'est quoi ce délire?"
— J'ai tout fait pour sauver l'enfant. J'avais dû l'arracher de force à cette personne qui lui ôtait la vie. Et je ne sais encore par quel miracle j'y étais parvenue. Je me souviens juste d'avoir poussé cette femme et qu'elle était tombée évanouie tandis que je tenais le nourrisson dans mes bras et appelait les urgences. Je ne comprends toujours pas ce qui a bien pu lui passer par la tête ou ce qui a bien pu la posséder vu qu'elle dit ne se souvenir de ses actes. Quand j'étais rentrée, j'avais reçu un message de la part d'un inconnu me disant que j'avais bien joué et me donnait rendez-vous pour une prochaine fois. J'étais perdue car mes amis m'avaient affirmé qu'ils n'étaient pour rien .
Allena se passa rageusement les mains dans les cheveux , les ébouriffant au passage.
— Ça a continué. Encore et encore. Chaque lundi, j'avais une nouvelle vie à sauver. J'en ai vu, des choses, tu sais? Durant trois mois, j'ai vécu dans une sorte de psychose, un trou noir qui me me me desintegrait petit à petit jusqu'à ce que tout s'arrête brusquement . Ça doit faire trois semaines que je souffle un peu.
— Tu as dû voir des gens mourir, pas vrai ?
Elle soupire.
— Non. Heureusement. Je n'ai perdu personne.
Tout d'un coup, je suis dégouté par moi même. Allena a dû vivre cet enfer durant trois mois et personne n'a perdu la vie alors que moi, je n'ai fais que deux semaines et en suis en deux morts. Je me mords la lèvre inférieure.
— Toi au moins, tu n'as aucun mort sur la conscience... dis je amer.
La jeune fille pose sa main sur la mienne.
— Ce n'était pas de ta faute. Tu ne pouvais pas savoir. me dit elle compatissante.
— Oui. Mais...
— Mais rien du tout. Tu ne peux pas te condamner pour les actes d'autrui . Tu ne peux te tenir responsable pour un malade qui court les rues, non? Si tu te morfonds comme ça , es tu sûr de pouvoir sauver les prochains ?
J'écarquille les yeux.
"Les prochains ? "
— Oui. Les prochains, dit elle comme si elle avait lu dans mes pensées. Ne crois pas qu'il t'a laissé. Moi aussi, il m'a déjà fait ce coup là et je peux te dire que malgré mes trois semaines de repis, je suis toujours sur mes gardes mais moins stressée.
Elle sourit et je me demande si c'est un sourire amusé ou ironique .
— On s'y habitue.
Son ton est fataliste.
"Je me suis donc leurrer depuis tout ce temps. Ces moments de repos ne sont en fait qu'un calme avant la tempête ? Et je devrai encore me confronter à ces appels ? Pendant combien de temps?"
— Je serai là pour toi. Ensemble, nous y arriverons.
Allena m'adresse un sourire confiant.
C'est pour moi une petite lumière brille dans l'obscurité qui m'entoure. Je me sens bien mieux qu'avant et la serre dans mes bras. C'est mal mais , une part de moi est soulagée que cette fille ait vécu le même cauchemar que moi. J'ai l'impression d'être plus proche d'elle.
— Ça va. me chuchote t-elle.
— Merci.
Je me sens c*n mais n'y peux rien.
Je finis par me détacher d'elle.
— Mike n'est pas au courant, je suppose ?
Son visage s'assombrit.
— Non. Je ne pouvais en parler à personne. Surtout pas à lui.
Nous sommes tellement plongés dans notre discussion que l'arrivée du bus nous fait sursauter.
— Ah! Il est déjà neuf heures, je lui fais remarquer. Tu dois y aller, non?
— Oui. Mais finalement, je préfère rester un peu ici. Je rentrerai chez moi plus tard.
— Durant un instant, j'ai cru que tu avais aménagé dans mon quartier.
Elle sourit.
— Non. J'ai juste dormi chez une amie .
— Ah!
Les quelques passagers du bus passent à côté de nous tandis que le véhicule continue son trajet.
— On n'y va?
— Hein? Où ça ?
Allena hausse les épaules.
— Je ne sais pas. N'importe où. Chez toi, peut-être. J'ai cru comprendre que tu habites dans le quartier résidentiel de cette ville.
— Euh.... Oui . Oui.
Elle veut vraiment venir chez moi?
— Si ça te dérange, on peut aller ailleurs...
— Non. Non,je réponds à la hâte. Bien au contraire.
Je me lève et Allena en fait de même après avoir rangé ses affaires.
— J'ai toujours voulu faire du skate. Je me tourne vers elle.
— Ah bon?
— Oui. Mais j'ai la frousse. J'ai peur de me faire mal.
Je rigole.
— Ne ris pas, dit elle boudeuse. Je suis sérieuse.
Je lève les mains au ciel.
— D'accord. D'accord.
— Tu voudrais bien m'apprendre ?
— Quoi?
— J'en ai marre d'avoir peur. Donc, tu dois m'apprendre à faire du skate.
Elle se balance en avant.
— Sans me faire tomber.
— Peut-être. Allez. Viens. On va d'abord manger un bout chez moi avant le début de l’entrainement.