Le mariage de Liviane
Il n’était pas aisé d’être l’ainé d’une femme peu encline à écouter les conseils et les mises en gardes. Et Jonas commençait à sérieusement perdre patience. Il avait eu beau parler et mettre sa sœur devant la réalité, il avait l’impression qu’elle se jouait de lui et qu’elle ne lui accordait aucune importance.
Le jeune homme commençait à maudire leur géniteur d’avoir créé cet alter ego incontrôlable. À quoi avait-il pensé au juste ?
Ne s’était-il pas dit que sa fille allait s’exposer à de grands dangers en continuant ses folies ?
_ Je veux juste savoir une chose, la questionna l’homme tandis qu’elle s’apprêtait à quitter une énième fois la maison en pleine nuit, qui vas-tu rencontrer à une heure pareille ?! Ne crains-tu pas pour ta vie ? Tu devrais savoir qu’il n’est pas bon de tenir tête à Helias d’Orburg, regarde où cela a mené notre père…
Sa jeune sœur soupira comme si ses mots la fatiguaient plus qu’autre chose.
Sérieusement, où était passée la fille enjouée et légèrement ingénue que tout le monde adorait ?
_ Quand comprendras-tu que je ne suis pas comme père ? rétorqua Liviane en croisant ses bras sur sa poitrine et en lui jetant un regard hautain.
_ Quoi, tu te crois plus futée que lui ? Tu penses que du haut de tes vingt ans, tu réussiras là où lui a lamentablement échoué ? S’il te plaît, remets-toi en question et cesse ces aberrations avant qu’il ne soit trop tard.
_ Ne me sous-estime, Jonas. Je suis bien plus compétente que notre pauvre paternel et surtout, je ne m’entoure pas d’incapables, comme il a fait. L’autre avantage que j’ai, et qui n’est pas des moindres, c’est que je suis une femme, une pauvre femme inoffensive et niaise sur les bords. Jamais ce roi de pacotille ne me soupçonnera du moindre forfait et tu le sais aussi bien que moi.
_ Ne te méprend pas sur cet homme, il est dangereux et imprévisible…
_ Mais que t’ont-ils fait durant ton incarcération ? Tu es devenue un vrai poltron. Helias d’Orburg t’aurais départi de tes attributs masculins, et je n’en saurais rien ?
_ Arrête donc de faire la maligne, si tu avais goûté aux fers, tu ne te sentirais plus aussi assurée, ma chère sœur. Et qu’importe qui te monte la tête contre la monarchie, c’est la tienne qui tombera en premier, alors par pitié, reprends une vie digne d’une jeune femme de ta condition.
_ Ceux qui me montent la tête, ne sont pas des couards sans personnalité, et contrairement à l’imposteur qui nous dirige, ils ont une véritable vision pour ce pays.
Cette phrase confirma les doutes qu’avait Jonas concernant de potentiels complices ou commanditaires.
_ Je t’en prie Liviane… je sais que je ne t’ai pas toujours montré un grand intérêt, mais sache que je tiens énormément à toi. Et je tremble de te savoir sur cette voie.
_ Comme c’est touchant. Mais ne serait-ce pas pour ta propre sécurité que tu crains ? N’as-tu pas seulement peur d’endure le courroux d’Helias, si les choses venaient à mal se passer ?
_ Liviane, tu ne sais plus ce que tu dis !
_ Tu l’as dit toi-même, mon frère. Tu ne m’as porté que peu d’intérêt tout ce temps, alors abstiens-toi de changer à présent. Et surtout, retourne donc à tes frivolités favorites et laisse-moi faire ma vie comme je l’entends.
Dépassé et surtout frustré par le mur d’opposition qui se dressait devant lui, Jonas fit une chose qu’il n’avait jamais pensé faire un jour, il leva sa main en hauteur et l’abattit sur la joue de sa sœur.
L’expression hautaine que Liviane affichait la seconde d’avant, disparut dans un cri.
_ Tu as perdu la tête ?! s’écria-t-elle les yeux exorbités par la colère.
_ Oui ! Par ta faute ! J’ai beau tenter de te raisonner, de te parler avec gentillesse, mais comme tu ne veux rien entendre, je prendrais les mesures que j’aurais dû prendre il y a un moment déjà.
Sur ces faits, il appela l’une des chambrières et lui ordonna d’emmener sa sœur dans ses appartements.
_ Je refuse ! Tu ne peux pas me garder ici contre mon gré, tu m’entends !
_ Je suis ton tuteur et tant que tu ne seras pas mariée, tu devras te plier à mes volontés !
_ Et bien réjouis-toi, puisque depuis peu, je le suis ! lâcha Liviane en se libérant de la main de la domestique. Je suis une femme mariée et tu ne peux m’interdire quoi que ce soit !
Jonas crut d’abord à une énième provocation, mais en voyant l’expression profondément sérieuse de sa sœur, il comprit qu’il n’en était rien. Cette entêtée s’était mariée juste pour pouvoir disposer de sa liberté ? Non, c’était impossible…
_ Comment cela mariée ? demanda-t-il avec des yeux ronds d’étonnement. Depuis quand ? Et surtout avec qui ?
_ J’ai signé mes vœux cette semaine avec le marquis d’Arrow, précisa la jeune femme avec morgue.
_ Sans rien me dire ? Tu… tu me considère si peu ?
_ Je suis assez grande et avisée pour prendre mes décisions, je n’ai pas besoin de ta bénédiction.
_ Non, peut-être pas, mais je reste ton frère, tu aurais pu me consulter, ou à défaut, me le dire.
_ Dans tous les cas, tu l’aurais su au moment de mon départ.
_ De ton départ, répéta Jonas perdu. Tu comptes partir sans faire la moindre cérémonie ?
_ C’est une pure perte de temps. Et puis, vu la réputation que père nous a faite, personne ne viendra aux noces, c’est certain.
_ Tu as probablement raison… seulement, c’est si soudain…
Dépassé par la situation, Jonas ne savait plus que répondre. Et surtout que penser de ce soi-disant mariage. Pour ce qu’il savait du Marquis, il était d’un sérieux irréprochable et un officier reconnu, qui avait mérité toutes ses médailles. Le hic, c’était qu’il en était à ses troisièmes noces, et ses enfants étaient plus vieux que Liviane.
_ Bien, maintenant que tu n’es plus mon tuteur officiel, je vais pouvoir vaquer à mes occupations en paix, dit sa sœur en poussant la domestique qui se tenait toujours près d’elle.
Jonas soupira d’impuissance tandis qu’elle quittât le manoir, la tête haute et l’expression pincée.