En voyant la pression montée, Ami intervint. « Désolée. Moments de drames entre besties. » Elle se tourna vers nous. « Les filles, ce n'est pas la peine de vous disputer pour ça. » Les mains sur mes joues et ses yeux dans les miens, elle déclarait : « Je sais que tu considères Jean-Charles comme un frère. Mais Jo, compatis un peu à la douleur de ta copine. »
Esméralda parla entre ses dents, ramenant mon attention vers elle. « Jo... je ne sais pas quoi te dire de plus. Tu as toujours protégé Jean-Charles... mais... je n'arrête pas de me demander s'il m'aime vraiment. Pourquoi n'applique-t-il pas pour des bourses d'études ? En étant dans des pays étrangers, tous les deux, la distance aurait été moins importante et surement plus gérable. Je ne comprends pas. »
« Peut-être qu'il a des obligations familiales lui aussi ? As-tu pensé à ça ? »
Seulement, Esméralda, condescendante, rétorquait : « Oh, s'il te plaît. Ne me fais pas rire. » Et je m'affolai, venant à la rescousse de mon pote à nouveau. « C'était évident que l'on allait t'envoyer à l'étranger tôt ou tard. C'est ce que font les gens comme vous. Tu aurais donc pu prendre de meilleures décisions pour toi-même ou t'abstenir d'être en couple. Vous vous plaignez toujours pour des choses qui auraient pu être évitées dès le départ. On peut tous faire de meilleurs choix qui s'accordent avec nos valeurs et notre rang social. » Un silence me donna une claque sur la face. Je redescendais enfin, remarquant les blessures que je venais de causer.
Les traits du visage marqués par le trouble et l'incompréhension, Esméralda se redressa. « Regarde donc notre copine ». D'un coup de menton désigna Ami. « Si jeune et déjà promise en mariage. Je ne lui demanderai pas si en amour, elle saura faire le bon, car je doute qu'elle sache ce que c'est de faire un choix. On n'a pas toute cette opportunité, Jo. » Elle scruta la salle du regard, gênée. Elle n'aimait pas être dépeinte comme une femme faible. Cette discussion était un procès. « J'avoue que moi, j'en n'ai eu des options. Mais j'étais pressée de trouver quelqu'un pour enlever la solitude dans ma vie. Jo... rend toi à l'évidence. L'amour ne sert à rien et nos parents nous dictent. » Son regard intense me paralysait.
Qu'insinuait-elle ? Jean-Charles n'était-il qu'un sentier emprunté à la hâte ? Un homme aimé par égarement ?
Alors que la sonnerie bruissante mutila le silence, le vent chaud traversa la classe et Esméralda tourna le dos pour s'en aller, sa jupe dansant aux mouvements de ses formes voluptueuses. À mes yeux, la vie n'avait pas manqué de la bénir en lui offrant richesse et beauté sur un plateau en or. Pourtant, la voilà qui se plaignait auprès de moi.
Je fermai les yeux et tirai mon Afro avec désarroi. La douleur sur mon cuir chevelu n'était pas aussi intense que la déchirure qui me m'émiettait le cœur. Il mourrait de comprendre ce qui se passait derrière les portes de chez Esméralda, il désirait ne fusse que pendant une journée usurpée son identité. J'aurais fait mieux qu'elle en étant à sa place, j'en étais certaine.
Les ricanements aléatoires des élèves tout à coup donnaient l'impression d'être contre moi. Les voix graves dans la salle se multipliaient, devenant des successions diaboliques.
Un souffle passa sur ma joue et arrêta l'écoulement de mon chapelet de larmes. Je levai la face, prête pour la rédemption.