Une Découverte

643 Words
Les clientes à la caisse guettaient la scène, chacune à tour de rôle, passant pour payer. Ces pauvres femmes, elles n'arrivaient pas à voir que si un homme traitait déjà Jean-Charles de cette manière, alors ils ne nous voyaient tous aussi que comme des objets. La seule chose qui nous différenciait sûrement de Jean-Charles à ses yeux était que nous pouvions assouvir un besoin de cinq secondes. Après cela, il nous jetterait. Ou encore, se servirait de nous, de temps à autre, n'y voyant plus autant d'intérêt qu'avant. Jean-Charles parla entre ses dents, le regard furieux. « Aujourd'hui, c'est sur moi, » créant un gémissement aigu dans le magasin. Je connaissais ses combats, aussi farouches que les miens. Un frisson d'inquiétude me traversa. « Jean-Charles ! Tu n'as pas à faire ça. » Il était le plus jeune du ventre de sa mère. Enfin, depuis peu, depuis le décès de sa sœur cadette Estelle, il ne restait plus que lui et Shujaa. Ils étaient aussi pauvres que nous, Estelle partie par manque de moyens pour son traitement. Shujaa s'en voulait tellement qu'il avait décidé d'abandonner les études et de travailler dur pour aider sa famille à sortir de la pauvreté. Il partait très souvent à la tombe de leur père, pleuré en demandant à Dieu pourquoi il avait laissé ce drame arriver, non pas une seule fois, mais deux fois. Habituellement, je regardais leur mère pendant des heures, curieuse de savoir pourquoi elle n'avait jamais osé refaire sa vie. Mais la peur de lui poser cette question m'attrapait, car je ne voulais pas qu'elle s'immisce en retour dans ma relation avec ses fils. Entre nous, il n'y avait alors que des regards attendris, toutefois apeurés. Jean-Charles compris que je me souciais de lui. Une douce lueur souriante remplaça la forme de ses lèvres. « Joli, s'il te plaît, laisse-moi faire. » Il prit un cadi, tendit la main vers les rangées sous le regard agacé d'Omar. Je suivais donc ses directives et le sentais marcher derrière moi. Je décidai de le faire confiance. Après tout, il avait énormément travaillé le bois ces derniers temps. Forcément, il avait pu mettre de l'argent de côté. À part si leur oncle, tonton Sinclair, ce soulard, avait tout arraché pour acheter de la boisson. Il se disait le remplaçant de leur père et nous forçait parfois à l'appeler beau-père. Oui, il lui arrivait souvent de faire cela. Après la mort de son frère, le père de Jean-Charles, tonton Sinclair pensait qu'il allait épouser la veuve. Mais elle avait refusé. Il n'avait donc fait que six mois dans leur maison, avant de comprendre qu'elle ne céderait jamais et que ses fils lorgnaient chacun de ses faits et gestes. J'entendis : « garçon, aide-la », de la voix d'Omar. Il n'allait pas lâcher l'affaire. Son autorité devait être démontrée devant nous. Un individu dans la vingtaine vint en courant. Il demanda à attraper le cadi, mais Jean-Charles murmura : « Ne t'inquiète pas, je gère. » « Tu lui diras que j'ai refusé moi-même. » J'ajoutai, car son regard était terrifié. Le jeune travailleur secoua les mains, contrastant ses muscles, qui laissaient pourtant comprendre que c'était un homme fort. « Le patron ne sera pas content si je ne fais pas ce qu'il a dit. » Son bel accent, bancal, dénonçait qu'il provenait sûrement de l'Afrique de l'Ouest, lorsque celui de son patron trahissait celui de l'Afrique du Nord. Il était certainement arrivé jusqu'ici pour se construire un avenir pendant que le mien partait déjà en fumée. Une émotion prit le dessus sur ma décision, et je le compris un instant. Je bousculai la tête à Jean-Charles qui céda nerveusement. Leurs yeux se braquèrent sur moi, et je détachai le nœud de mon pagne pour leur sortir la liste. Mais à ce moment, un deuxième papier excessivement plié m'intrigua.
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