Chapitre 3 : Double jeu

2763 Words
Il est deux heures passées de cinquante minutes. La fête continue de battre son plein. Raphaël vient de finir la vente de sa dernière marchandise et se dirige vers le vieux lampadaire où avait eu lieu son entrevue avec Mr Thomas quelques heures plus tôt. Le trentenaire n'est pas encore sur les lieux. L'air est frais et Raphaël se frotte les mains en attendant celui qui allait l'aider. Trente minutes passent sans que l'homme ne pointé le bout de son nez. Raphaël commence alors à s'impatienter et l'air frais de janvier n'arrange en rien son humeur. « Est-ce qu’il a changé d’avis ? » se demande t-il. La patience n'a jamais été son point fort et malgré ses efforts, il lui arrive de monter une grande impulsivité et un empressement que lui reproche souvent ses amis. —Hey, mec, l'interpelle soudain quelqu'un. Il reconnaît Willi, l'un de ses compagnons de galère. Ce dernier, accompagné de deux femmes se dirige vers lui. —Qu’est-ce que tu fais là ? Il fait trop froid et toi, au lieu de prendre du bon temps pour te réchauffer, tu reste là à congeler tout seul. —J’attends quelqu'un, répond Raphaël. Son interlocuteur affiche un sourire niais. —Je vois, dit-il sur un ton plein de sous-entendu. Raphaël, dans l'obligation de garder le secret sur la raison de sa présence à ce endroit, ne contredit pas Willi. Lui aussi sourit, faisant croire lui aussi à un sous-entendu. —Si tu sais ce que je fais ici, pourquoi est-ce que tu me pose encore la question ? —Ok. Ok. Pardon, mon pote. J'espère qu'elle vaut la peine que tu reste là comme un enfant abandonné. —Elle en vaut la peine. Maintenant, vas t'en. Tu as mieux à faire que parler avec moi, non ? Il fixe les deux femmes qui accompagnent son ami. —Ah oui. Bref, faut bien t'amuser, mon frère. Y'a que ça de vrai dans la vie. Dougbè. —Oui. Toi aussi. Raphaël le suit du regard et lorsque le trio n'est plus dans son champ de vision, il lâche un juron. —Tchrum. « Ce que je fais ici là, en quoi ça te regarde ? Je ne suis pas debout sur ta tête. Quand tu mets tout le temps ta tête entre les cuisses d'une femme, c'est normal que tu sois si bête et si pauvre. » pense t-il. Après quoi, il regarde l'heure sur son téléphone portable. —Trois heures trente huit, murmure t-il. Mais qu’est-ce qu'il fout ? Excédé, il appelle son ami Isaac. Au bout de trois appels, le jeune homme ne décroche pas. « Il est peut-être occupé. » se dit-il. Raphaël commence à désespérer. Et alors qu'il pense à quitter les lieux, celui qu'il attendait vient à sa rencontre non pas en sortant de la maison où se déroule la fête mais, de la route adjacente à celle sur laquelle se trouve Raphaël. Quand il le voit, Raphaël est partagé par un sentiment de soulagement et l’envie de lui sauter à la gorge pour lui demander des explications à propos de son retard. Mais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il garde son calme. —Tu m'as beaucoup attendu. Toutes les excuses. J’étais occupé. Viens avec moi. Mr Thomas s’efforce de ne pas afficher son sourire satisfait. Son plan, il a fini de l’élaborer et il ne lui reste qu’à l'appliquer. —Nous allons où ? demande t-il, suspicieux. Et où est Isaac ? A cette question, Mr Thomas craint que le jeune homme ne se ravise. Alors, il joue le rôle du sauveur agacé par la méfiance de celui qu'il devrait sauver. —C’est toi qui a besoin de mon aide et non Isaac. Je t’emmène là où il faut mais, si tu es trop froussard, je te serai gré de ne pas me faire perdre mon temps, morveux. Raphaël serre le dents. Le ton hautin et supérieur que prend cet homme ne lui convient pas. La seule chose qui lui vient à l'esprit est de lui répondre. Néanmoins, il n'en fait rien, conscient que cet homme est sa porte de sortie de la misère. —Je ne suis pas un froussard. Allons-y. —Très bien. Mais, je préfère te prévenir. Tu n'as pas intérêt à raconter quoi que ce soit à personne de ce que tu vas voir, même à ton pote Isaac. Sinon, tu es un homme mort. La menace est sérieuse. Cet homme ne rigole pas, il le sait. —Ouais. Sur ses gardes, Raphaël suit monsieur Thomas jusqu’à une range rover blanche garée un peu plus loin. L'autre ouvre la portière côté conducteur, s'installe puis ouvre celle du côté passager. Le jeune homme imite le propriétaire de l'auto. Lorsque ses fesses se posent sur le siège, l’étrangeté de la situation le frappe car, c'est bien la première fois qu'il entre dans une voiture comme celle là. « La seule fois où je suis monté dans une voiture, c’était quand j'avais pris le car pour venir à Cotonou. Je veux une voiture comme ça aussi. » pense le campagnard qui est en lui. On peut dire que cette nouveauté a renforcé son ambition de devenir riche. La voiture est mise en marche et le trajet se déroule dans le plus grand des silences ; un silence pesant durant lequel Raphaël examine à coups d'œil furtifs les traits de son voisin. La méfiance qui serre son cœur n'a pas disparu et les doutes sur cet homme continuent d'affluer. Il n'en fait pas suffisamment cas, déterminé dans sa quête. La voiture roule depuis plus d'une heure. Les paysages, toujours plongés dans l'obscurité paraissent inconnus. Soudain, l’automobile s’arrête. —Descends, ordonne monsieur Thomas. Perplexe, Raphaël obéit. Après être sorti, il allume la lampe de son téléphone afin d'observer l'endroit où il sont. Tout ce qui les entoure n'est que buissons ; des buissons assez hauts pour qu'il ne soit pas possible de déterminer s'il existe des habitations aux alentours. Devant la voiture se trouve un étroit sentier. —Eteins ta lampe et laisse tes affaires dans la voiture. Nous allons continuer à pied. —Ok. Mr Thomas est parvenu à emmener le garçon à cet endroit. Il ne lui reste qu’à appliquer la seconde partie du plan. Il se tourne vers les buissons qui entourent le sentier qu’ils doivent prendre. « Bientôt, je serai encore plus riche. » pense t-il. Raphaël obéit en scrutant cet homme qui lui parait de plus en plus louche. « J'ai un mauvaise pressentiment. » se dit il. Toujours sur ses gardes, le jeune homme fait semblant de laisser son téléphone dans son sac et le met dans la poche intérieure de son pull-over après l'avoir mis sur silencieux. Le sac, il s'en fiche pas mal car ce dernier ne contient aucune affaire personnelle. Il ne sert qu’à transporter la marchandise. Après quoi, les deux se mettent en route. Raphaël marché à bonne distance derrière Mr Thomas, prévoyant de fuir au cas où. Pendant la traversée du sentier, il réfléchit sur la nature de l'aide que l'on allait lui apporter. Plusieurs questions se bousculent alors dans sa tête. Où vont ils ? Chez qui ? Et pour quoi faire ? Il se dit qu'au vu de l'endroit désert dans lequel ils se sont rendus, que l'homme est peut-être sur le point de l’initié dans une sorte de secte où de l'embarqué dans ces cérémonies ou rituels sacrificiels. L’idée de devoir ôter la vie d'un être humain, l'a toujours répugné. Même s'il est devenu un dealer, Raphaël a sans arrêt mis un point d'honneur à respecter l'un des principes fondamentaux que lui a appris son père : le respect de la vie humaine qui est sacrée. Si ses craintes se révèlent fondées, il prévoit déjà de partir sans demander son reste. « Mais, pense t-il soudain, et si c'est moi, le sacrifice ? » Raphaël avait déjà entendu ces histoires selon lesquelles des personnes qui pensaient pouvoir être initié à ces rituels devenir elles mêmes les agneaux pour le sacrifice. « Je dois vraiment rester sur les gardes. » L'homme devant lui continue toujours de marcher à pas pressés. Il fait trop sombre pour que le jeune homme puisse distinguer sa silhouette au complet. Mr Thomas lance un regard en coin à sa gauche puis à sa droite. Il entend le les cris d'un criquet. Ce son, c'est le signal que tout est prêt pour la dernière partie de ce plan. Il tousse alors trois fois pour donner le signal. Tout à coup, des bruits émanant des buissons atteignent les oreilles de Raphaël. La sensation d’être observer se fait sentir. Le sentiment d'insécurité s'accentue et les soupçons de Raphaël se confirment lorsque, tel des fantômes, quatre ombres surgissent de derrière les buissons. —Quoi ? s’écrit il. L'une d'elles l’attrape par le bras. —Qu’est-ce que vous me voulez ? Aucune réponse. Une autre ombre essaie de s'emparer de lui mais, le jeune homme ne se laisse pas faire. Pour lui, la situation est claire : cet monsieur Thomas lui veut du mal. « Il veut m'utiliser pour je ne sais quoi. » pense t-il. Il envoie un coup de poing vers ce qui semble être le visage de l'un de ses agresseurs. Mais, c'est sans compter qu'ils sont armés et Raphaël reçoit un coup de couteau sur la tempe. La douleur est vive. Cependant, il n'en tient pas compte car, le plus important à ses yeux à ce moment précis est de leur échapper. Un autre coup de poing s'abat sur une ombre. On entend alors le bruit mat d'un corps tombant au sol. « Un de moins. » Malgré son apparence svelte, Raphaël dispose d'une bonne condition physique et d'une force que lui ont valu les travaux champêtres et les pratiques sportives. Ainsi, étant ceinture noire de karaté, il ne lui a pas fallu longtemps pour mettre les quatre assaillants à terre. Mr Thomas a observé la scène. Dégouté, il ne s’était pas attendu à voir ces hommes qui se vantaient d’être très forts se fasse si facilement battre par ce gringalet. Alors, décide t-il de passer à l'action. « Après tout, on n'est mieux servi que par soi-même. » pense t-il. Essoufflé et le cœur battant, Raphaël décide de quitter au plus vite les lieux. Toutefois, un coup donné à sa nuque le fait vaciller. Alors, l'histoire de sa vie se met à défiler sous ses yeux. La perspective d'une mort imminente lui fait réaliser ses torts et ses actes manqués. C'est avec des regrets dans le cœur qu’il sombre dans un profond sommeil. Ce sont des bruits de conversation qui réveillent le jeune homme. Allongé à même le sol, pieds et poings liés, il ouvre lentement les yeux. Son regard se ballade dans la pièce qui malheureusement pour lui, est plongée dans l'obscurité, ce qui fait qu'il ne distingue pas les éléments autour de lui. Malgré la mal de tête et le vertige, Raphaël essaie de se lever. Péniblement, il se redresse, se glisse vers l'origine des voies et tend l'oreille. La discussion se déroulant en fin, il n'a pas de mal à comprendre ce que les personnes se disent de l’autre côté. —Ce garçon n'est pas compatible, je te dis, entend t-il de derrière la porte à laquelle il est adossé. Cette voix, est celle d'un homme qui lui est totalement inconnu. —Quoi ? Incompatible ? Sais tu comment j'ai fait pour l'amener ? Et tu me dis que les efforts ont été vains ? Cette fois-ci, c'est Mr Thomas qui parle. —Ce garçon a une scarification sur la tempe. Il n'est plus utilisable. —Quoi ? Tu te fous de moi, c'est ça ? Ce n'est pas une scarification. Il s'agit juste d'une entaille. Thomas a du mal à comprendre ce qu'il se passe. Depuis toutes ces années qu'il offre un sacrifice, jamais il ne lui a mis en garde en ce qui concerne les personnes ayant des entailles sur le visage. Le vieillard ne lui a jamais interdit de lui ramener ces genres de personnes. —Tu ne m'as pas averti de cela avant que je n'y aille. Pourquoi ? —Ahohó. Je m'en fiche. Trouve moi quelqu'un d'autre ou c'est toi qui prendras sa place. L'autre a parlé avec un air détaché qui marque le fait qu'il se soucie peu du sort de son interlocuteur. —Espèce de… commence Mr Thomas. L'autre le coupe instantanément. —Tu veux ton argent ou pas ? Trouve moi quelqu’un d'autre d'ici une heure. Sinon… —Et qu'est-ce que je fais de lui ? —Renvoies le là où tu l'as trouvé. —Mais… —Tu ne dois pas le tuer. Ce garçon est protégé. Si tu essaies quoi que ce soit, c'est toi qui mourras à sa place. Tchin ! Il possède un esprit très puissant. —Et s'il raconte tout ? —Ça, c'est ton affaire, pas le mien. Allée ! Vas t'en et reviens avec un meilleur gibier. Mr Thomas est en colère. Il a payé des gaillards assez chèrement pour cette opération. Il a pris des risques et espérait être récompensé le soir même. —A présent, il lui faut tout refaire, grogne t-il. C'est quoi encore ça ? La conversation s’arrête sur cette manifestation de mécontentement. Raphaël avale difficilement sa salive. Une part de lui est soulagée de ne pas servir de dîner à un quelconque esprit venu des enfers et pressée de retourner chez lui. D'un autre côté, il a envie de rester pour se venger de cet homme qui n'a eu aucun scrupule à le tromper. Alors, il essaie de dénouer ses liens mais, sans succès. Ceux qui l'ont attaché ont pris toutes les mesures nécessaires pour qu'il 'e puisse pas s’échapper. Quand la porte grince derrière lui, le jeune homme se rallonge aussitôt, feignant d’être toujours dans les vapes. Des bruits de pas résonnent dans la pièce. Soudain, quatre bras viennent le saisir par les pieds et par les mains. Son corps est soulevé puis transporté. Il est d'abord détaché à moitié, les liens n’étant plus qu’à ses poignets et ses chevilles. L'aube pointe déjà le bout de son nez. Profitant de l'obscurité apparente, Raphaël ouvre à moitié les yeux, ne serait ce que pour distinguer un trait particulier à l'un de ses agresseurs. C'est alors qu'il remarque que celui qui l'a pris par les pieds porte des chaussures dont les bouts des lacets sont faits de pièces d'argent qui s'entrechoquent à chacun de ses mouvements. Ce détail, il l'avait remarqué quand ces hommes s’étaient mis à l'attaquer. Le bruit était faible et il n'y avait pas fait attention. —Patron, dit l'un d'eux essoufflé. Est-ce qu'on doit le buter ? —Non, imbécile. Vous allez juste le jeter quelque part. En tout cas, loin d'ici. Raphaël est transporté durant cinq minutes puis, il entend le bruit d'une portière. Puis, il se voit jeté dans le coffre fort de l'auto. Il a dû serrer des dents et prendre sur lui pour ne pas gémir de douleur. Quand la cloison se referme et que la voiture se met en marche, Raphaël en profite pour forcer l’ouverture mais rien n'y fait. « Putain ! » jure t-il. Le trajet se déroule depuis plus de dix minutes. A part les ravisseurs, le prisonnier ne sait pas quand le conducteur s’arrêtera. Raphaël en profite pour réfléchir à la situation. Plusieurs questions se bousculent dans sa tête, surtout celles concernant les propos de l'autre homme qui discutait avec Mr Thomas. L'homme avait dit qu'il était protégé par un esprit puissant. Il se souvient que son père lui avait expliqué la même chose lorsqu'il était plus jeune. A cette époque, suite à des cauchemars successifs, il avait fait part de sa peur à son père. Ce dernier lui avait fait prendre une douche de tisanes. Ensuite, il avait bu une décoction dans laquelle se trouvaient des graines dont il ne connaissait pas l'origine. « A présent, tu es protégé. Rien ne t'arriveras tant que tu respecteras la vie humaine. » Raphaël a toujours cru à tout ce qui concerne les pratiques et rites traditionnels. Cette croyance s'est renforcée quand il se rend compte de ce qui vient de lui arriver. « Mais, et Isaac ? » se demande t-il. Jusqu’à présent, il ne s’était pas posé la question de l'implication de son meilleur ami dans ce guet à pan. « Qu'est-ce que je vais faire quand je vais le retrouver ? » se demande t-il. Pendant ce temps, la voiture continue son avancée.
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